Je critique pour le plaisir. Comme si on prenait un café à l'époque en attendant les résultats du LHC sur le boson de Higgs. Lichtenberg aurait sûrement pris un cappuccino avec moi. Il se serait assis, il aurait parlé un langage extrêmement poussé sur les proportions que devraient prendre les badges d'accès à l'entrée du labo, inadaptées selon lui. J'aurais sûrement été d'accord. Il savait Lichtenberg parler aux gens. C'était un bonhomme funky et extrêmement minutieux. Par quoi on reconnaît les grands.
Il était l'idéal même de celui qui enseignait ce qu'il savait sans savoir ce qu'il enseignait. C'eût pu être de la physique expérimentale aussi bien que l'art de s'asseoir sur les bancs d'un amphithéâtre. N'a-t-il pas dit : " Pour mesurer tout ce qui dans le monde dépend de la présentation, il suffit de voir du café servi dans des verres à vin, ce qui en fait une boisson misérable, ou de la viande découpée à table avec des ciseaux, ou même, ce que j'ai vu une fois, du pain beurré avec un vieux rasoir, quoiqu'il fût tout à fait propre." ? Il connaissait l'intelligence souveraine. Celle qui navigue au petit-déjeuner sur une rasade de jus d'orange. Lichtenberg maîtrisait l'art du décalage, qui lui aurait fait gagner quelques millions aujourd'hui, eusse-t-il trouvé un club. Il était bon, il n'était pas beau, il était petit par la taille, grand par le talent. Il était le messie de l'ennui, le tracto-pelle des jupons, il a su la finesse du penser et regarder avec attention une réalité dont il avait seul la clé : " Il faut se demander ce qui est le plus difficile, de penser ou de ne pas penser. L'homme pense par instinct et tout le monde sait à quel point il est difficile de réprimer un instinct. Les petits esprits ne méritent donc vraiment pas le mépris dont on se met à les accabler un peu partout."
Lichtenberg a déjoué notre lourdeur qui naît au fond d'un boson.