C’est une rencontre avec Fabienne Raphoz, poétesse et éditrice de Jose Corti, qui m’a donné envie de lire cet ouvrage d’Ernest Thompson Seton (1860-1946), écrivain et artiste, chasseur de loups à une certaine époque de sa vie devenu amoureux de la nature au contact des animaux, défenseur du mode de vie des Indiens d’Amérique, merveilleux témoin d’une nature nord-américaine indomptée, pionnier de la fiction animalière non-anthropomorphique et inspirateur de Rudyard Kipling.
Publié en 1898 et traduit de l’anglais par Bertrand Fillaudeau pour la collection Biophilia des éditions Jose Corti (2016), Lobo le loup (Wild animals I have known), formidable recueil de nouvelles, est l’œuvre la plus célèbre de cet écrivain prolifique.
Comme le traducteur Bertrand Fillaudeau le souligne dans une passionnante postface, Seton avait pressenti dès la fin du XIXème siècle que l’homme et la technologie menaçaient la faune et la flore sauvages et qu’il fallait inverser le rapport que l’homme entretient avec la nature dans le monde occidental. Ce renversement est celui que l’on sent poindre chez le narrateur de la nouvelle éponyme. Cet homme, appelé pour chasser un grand loup gris et sa meute qui déciment les troupeaux des pâturages de Currumpaw au Nouveau-Mexique, découvre la ruse, l’incroyable intelligence de l’animal et les liens inaliénables qui le lient à sa louve blanche bien-aimée.
Currumpaw est une immense étendue de pâturage située au nord du Nouveau-Mexique. C’est une terre de riches herbages où grouillent les troupeaux de moutons et des hordes de bétail, une terre de mesas ininterrompues parcourues d’eaux vives précieuses qui finissent par se rassembler en formant la rivière de Currumpaw, qui a donné son nom à toute la région. Le roi qui en avait pris possession et y exerçait son pouvoir tyrannique était un vieux loup gris.
Le vieux loup gigantesque, que les Mexicains avaient surnommé le roi, était le chef d’une meute exceptionnelle de loups gris, qui ravageaient la vallée de Currumpaw depuis des années. (Lobo le loup)
Seton nous assure dans sa note préliminaire au lecteur que « ces histoires sont authentiques », que « les animaux de ce livre ont réellement existé » et que « leur héroïsme et leur personnalité se manifestèrent avec plus de force encore » que ce dont sa plume porte témoignage.
Lobo le loup, seigneur de Currumpaw, qu’aucun humain ne peut vaincre si ce n’est pas fourberie, Tache d’argent, brillant chef d’un groupe de corneilles, Feuille de Chou, jeune lapin à queue blanche dont la mère Molly fait patiemment et méthodiquement l’éducation, la renarde de Springfield, que le narrateur se refuse à chasser en découvrant sa ruse et son intelligence inouïe, le mustang sublime, étalon noir comme le charbon attaché par-dessus tout à sa liberté, etc., les héros des huit nouvelles sont tout à fait remarquables et leurs histoires montrent non seulement la cruauté des hommes envers les animaux, leur acharnement à éliminer toute créature vivante qui empiète sur leurs propriétés, mais aussi l’aveuglement humain et la méconnaissance de leur génie.
En pleine controverse sur la théorie de l’évolution à la fin du XIXème siècle, Seton attribue des personnalités à ces animaux remarquables et donne une voix au monde muet des animaux, traduisant pour nous leur langage, de la corneille ou du lapin à l’anglais, « grâce à l’observation et à la connaissance de leur système de sons, de signes, d’odeurs, d’effleurements, de mouvements, qui répondent aux nécessités du langage ».
« Qu’est l’homme sans les bêtes ? Si toutes les bêtes disparaissaient, l’homme mourrait de grande solitude de l’esprit », avait dit le chef indien Seattle dans son célèbre discours de 1854. À l’heure où la question animale et de la protection de la nature nous renvoient plus que jamais aux interrogations cruciales de la vie et de la mort, de la douleur et du bonheur, de l’être et du paraître, de la servitude et de la liberté, pourquoi cet écrivain et ce livre, qui mettent en lumière l’aspect indispensable de notre compagnonnage avec les animaux, ne sont-ils pas plus connus en France ?
Ils apprenaient à connaître un par un les oiseaux et les bêtes qui vivaient dans leurs bois. Lorsqu’ils purent aller en terrain étranger bien plus loin avec leurs parents, ils connurent de nouveaux animaux. Ils commencèrent à croire qu’ils connaissaient l’odeur de tout ce qui bougeait. Une nuit leur mère les conduisit dans un champ où reposait sur le sol une drôle de chose noire et plate. Elle le leur rapporta pour qu’ils la sentent. Mais dès qu’ils flairèrent l’odeur, leurs poils se hérissèrent et ils furent saisis de tremblements. Ils ne savaient pas pourquoi – on aurait dit que des picotements les envahissaient en se diffusant à travers leur sang. Ils étaient pleins de haine et d’effroi. Lorsqu’elle vit que les effets sur eux étaient aussi forts, elle les avertit –
« Ça, c’est l’odeur des hommes. » (La renarde de Springfield)
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