Critique de Shaynning
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
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le 23 oct. 2022
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Incontournable Roman ado Mai 2024
Après avoir lu "Sacha" du même auteur, je commence à me dire que Monsieur Champagne a une belle qualité en tant qu'auteur de tranche-de-vie romantiques: Composer des modèles amoureux sains. Encore une fois, dans son roman, je remarque de très beaux exemples dans divers thèmes liés aux relations interpersonnelles et juste pour ça, ça vaut le détour. Cela dit, reste que le livre est globalement bien et l'Histoire touchante, ce n'est donc pas sa seule force. Ce n'est pas seulement l'Histoire de jumeaux identiques en pleine quête identitaire, mais également qui traite de la pression parentale, de l'abandon parental, de la dépression, de l'anxiété lié à divers enjeux et de la fraternité.
Logan et Julian sont des jumeaux identiques, du genre à pouvoir s'interchanger, tant ils ont beaucoup de similitudes. Néanmoins, quand leur mère quitte en catimini le domicile familial pour rejoindre une nouvelle flamme, c'est l'éclatement. Dès lors, le papa sombre dans une dépression, Julian rumine une intense colère nourrie de profond ressentiment, tant et si bien que les jumeaux ont du mal à se parler, pour finalement cultiver leur jardin secret loin l'un de l'autre. Logan se sent alors la responsabilité, en sa qualité du plus tempéré des jumeaux, de protéger son père de la colère de son jumeau, malgré son propre sentiment d'abandon. Julian se montre distant, ce qui mène Logan a vivre de nombreux moments en solo pour la première fois. Quand est-il de leurs projets communs et de leur complicité si étroite qui semble vouloir s’étioler dans les deux cas? Alors que le jeune homme jongle avec des repères de moins en moins évidents, il se voit également démasqué par leur meilleur ami Tao, qui a tôt fait de remarqué les regards de Logan sur sa personne. Néanmoins, affirmer une différence de plus face à son frère lui semble trop difficile, ce qui pourrait lui faire rater une chance d'avoir son tout premier chum.
Le moins qu'on puisse dire est qu'il s'en passe des choses dans ce cinq mois estival, pour les jumeaux. Récit à deux voix, nous sommes tout-de-même plus souvent du côté du personnage dont le roman porte le nom. Logan apparait rapidement comme le plus censé des jumeaux, celui qui se montre le plus empathique et qui internalise davantage ses émotions. Il me donne l'impression de se parentifier face à son père malade et son frère devenu explosif. Et ce qui pourrait être un énorme facteur de protection, à savoir enfin vivre une relation amoureuse pour ce gars qui lui plait depuis près de trois ans, devient un soucis de plus dans son esprit.
Plusieurs axes à traiter donc: Le premier est l'aspect identitaire. Il est généralement admis que les jumeaux, spécialement les identiques, ont un lien particulier. L'enjeu est donc pour les jumeaux de savoir distinguer ce qui en fait des partenaires complices de ce qui relève de leur identité propre. Pour Logan et Julian, visiblement, on est plus du côté fusionnel que du côté distinctif et ça parait assez rapidement dans l'histoire, surtout quand on apprend que les jumeaux se sont déjà organisé un plan d'avenir. Logan a alors très peur de compromettre ce plan, maintenant que ses repaires ont un peu éclatés. Ça peut sembler irrationnel de penser autant à vouloir ressembler à l'autre sur tous les points, parce qu'on sait que malgré leur physique identique, rien n'est moins vrai pour leur psyché. Intérieurement, ils sont aussi différents que le seraient n'importe quel membre de fratrie. Ce que les jumeaux expérimentent, c'est justement ce besoin d'être eux-même en tant qu'individu, non en tant que dyade. Et puis, comme ils l'apprendront, rien n'empêche d'être de formidables complices tout en étant aussi différents.
Ce qui m'amène au cœur du problème: L'abandon parental. Sans raisons, sans nouvelles, les jumeaux se retrouvent dans mère durant cinq mois. Colère, incompréhension, ressentiment, tristesse, sentiment d'être abandonné et sans importance, les jumeaux se sentent perdus et le fait que leur père sombre dans la dépression ne fait qu'ajouter au problème. Ils n'ont alors personne vers qui se retourner et entre eux deux, les besoins à traiter sont différents. C'est de ces nuances sur les besoins que se creuse le bris de communication et l'éloignement autant physique que psychologique. On remarque tout-de-même que les jumeaux, des deux côtés, pensent souvent à ce que l'autre "pourrait dire", mais ça ne se substitue aucunement à de véritables mots teintés de réelles émotions. De plus, comme je le mentionnais, Julian externalise et Logan internalise. Le premier le fait d'ailleurs avec violence, et si elle continue d'être si vive, elle le fait tendre vers les comportements à risque, comme le fait de sauter du toit dans la piscine, au tout début du roman.
Je prend le temps ici de mentionner qu'encore une fois, j'apprécie le travail de l'auteur sur cet enjeu précis. Trop souvent, les auteurs et les autrices font de la violence une excuse et c'est inacceptable, pour ma part, Rien ne justifie d'être violent, surtout envers les autres. Quand je pense à tous ces bad boys dans les romans qu'on victimise et dont on en fait des princes charmants à sauver d'eux-même, je constate qu'on banalise la violence dont ils sont porteurs, même dans les cas de violence conjugale. Ici, c'est le contraire. Le personnage de Christophe sert en quelque sorte de personne ressource. Le prêtre à beau être moderne, drôle et sans jugement, jamais il n'a toléré les comportements violents de Julian, ni ses injures, ni ses gestes agressifs. Enfin quelqu'un de censé! Ce n'est pas rendre service aux hommes et aux femmes violent.e.s que de leur trouver des défaites et accepter qu'ils ne sachent pas se gérer. Les émotions sont comme toute chose: Elles s'apprivoisent. Et c'est l'enjeu principal de Julian que s'apprendre à se gérer. Et à arrêter de mettre ses actions sur le dos d'une personne tierce, également. Certes, sa mère les a abandonné, sa famille et lui, mais comme Christophe et Logan le mentionnent si bien, ce n'est pas dans ce que Julian peut contrôler. En revanche, il peut se contrôler, lui.
Logan a aussi des enjeux de contrôle. Pour sa part, il s'agit de son orientation sexuelle différente de celle de Julian. Son enjeu est de reconnaitre qu'il a parfaitement le droit de vivre son orientation et que ce n'est pas aux autres de définir ce qui le rend heureux, pas même son frère. Logan a eu des comportements de sabotage au début de cette histoire, en niant ou en se montrant réactif contre Tao, alors même qu'il l'invitait à se rapprocher vu son envie manifeste d'être près de lui. Tao est à Logan un peu ce qu'Olivier était pour Sacha dans le roman éponyme. Dans les deux cas, Olivier et Tao avaient été en mesure de décoder l'autre et dans les deux cas, ont été des perles sur les question du consentement et du respect. J'ai noté leur capacité à donner du temps et de l'espace à l'autre, à chercher le compromis, à chercher une saine communication et à se montrer rassurant. Ouais, vraiment, Olivier et Tao, de vrais gentlemans modernes, prenez des notes, bad boys de mes deux!
Puisqu'il est question de Tao, j'en profite pour aborder son enjeu à lui. Ce n'est pas qu'une simple question de différence culturelle si Monsieur Inata se montre strict, obtus et profondément paternaliste. Il y a ce genre de parent dans toutes les sociétés. M. Inata illustre le parent-tyran type, le genre intransigeant, qui attend de sa progéniture un degré de conformisme malsain, comme si son fils était une simple continuité de lui-même. Or, Tao est un jeune homme sensible, amoureux de la mer, amateur de course à pied et de camping et se voit devenir un biologiste marin, au contraire de la profession d'avocat que lui impose son père pour son avenir. Tao a chercher à combler les irréalistes attentes de son père, mais il est a un point où sa personnalité et son désir d'émancipation s'affirment. Surtout, son orientation sexuelle semble poser problème. Comme c'est triste. Je trouve que face à toute cette pression parentale et ces dénigrements, Tao est un personnage très courageux et capable d'une grande maturité pour son âge. On devrait en avoir plus des comme lui en littérature jeunesse. Ce sont de beaux modèles et surtout, des personnages réellement inspirants, bien loin des mâles toxiques et des abrutis sans cervelle.
Enfin, je ne peux pas passer sous silence un fléau actuel: la dépression. Maladie autant physique et psychique, elle peut atteindre tout le monde et reste encore mal comprise par bien des gens, qui peuvent y voir de la lâcheté, de la paresse ou pire encore, une faiblesse. La dépression n'est bien sur rien de tout cela, c'est un déséquilibre neurochimique et il faut la traiter en psychothérapie conjointement à une médication. Ce qu'Alexandre, le papa des jumeaux, traverse, est très difficile. Tout est pénible, de la plus banale corvée au simples plaisirs. On en a un portrait assez crédible. Sa grande fatigue, son aplat émotionnel, son apathie et une certaine rupture avec la réalité. Alexnadre n'est plus en état de jouer son rôle de père et ce fut une épreuve très culpabilisante pour lui. Logan a eu davantage d'empathie que Julian sur cet enjeu, mais reste qu'en sa qualité d'adolescent, ce n'est pas son rôle de le traiter, simplement de le soutenir.
Globalement, je retient de cette histoire deux réalités avérées: Dans les moments difficiles, c'est le cercle social qui fera une grande différence, mais il ne faut pas minimiser la force intérieure qu'est la résilience. Tous ces personnages ont su tirer leur force les uns les autres et faire les pénibles apprentissages qu'il leur fallait faire pour avancer, pour passer à travers. Apprendre à mieux connaitre ses limites, communiquer ses émotions, laisser le temps faire son œuvre, respecter sa bulle, faire confiance aux autres, tirer sa force dans l'affection et le soucis des autres pour soi. Il y a beaucoup de bienveillance dans cette histoire et de nombreux inconnus à apprivoiser.
Une autre chose que j'apprécie de ce genre de roman est la place qu'on accorde à la psyché masculine, qui m'a toujours semblé absente ou machiste dans trop de romans. Ici, on parle d'émotions, on parle de limites et même si subsiste une certaine gêne d'avoir l'air "quétaine" ( gnangnan), ces hommes finissent par s'ouvrir leur cœur, pour leur plus grand bien. Il est important qu'on parle de ce qui habite les hommes, parce qu'il me semble que c'est commun et convenu pour les personnages féminins comparativement aux personnages masculins. J'apprécie tous les auteurs et autrices qui se consacre à rééquilibrer les forces.
Côté plume, ce n'est pas du tout poétique, mais malgré cela, ça reste un une plume touchante. Il y a l'avantage que c'est très clair, puisque les figures de style sont peu nombreuses et le registre émotif est précis, parce qu'on nomme plutôt que d'employer des formulations compliquées. Certains apprécieront, d'autres moins, mais la libraire que je suis voit cela comme une façon d'écrire qui rejoint plusieurs lectorats et sert bien son sujet. Ça respire l'authenticité, je dirais, et ce d'autant plus que l'oral est très oral dans les dialogues. Les personnages sont des québécois qui s'expriment comme des québécois dans la vie de tous les jours, dans un cadre informel, alors ne vous surprenez pas à lire certains anglicismes assumés et certaines tournures de syntaxe moins élégantes. Ce n'est pas du joual, cependant, c'est donc à la portée de tous. Vous noterez aussi la différence de police entre Julian, plus "arial", alors que celle de Logan est plus "Time New romance".
Seule petite chose que je j'aurais peut-être suggérée à l'auteur, c'est au sujet d'un certain vide sur l’apparence des personnages. Seul Tao était plus simple à imaginer, vu que Logan le regardait souvent.
Attention, petits divulgâches.
Pour ceux et celles qui se le demandent, les choses vont se placer, mais ne vous imaginez pas un gros "ils vécurent heureux" à l'américaine, ce n'est pas la marque de fabrique des québécois. Au contraire, on tend vers le pragmatisme et le réalisme, très souvent. Donc, nos deux jumeaux vont finir par avoir les conversations requises à leur épanouissement relationnel et digne de leur grande complicité fraternelle, dont l'homosexualité de Logan est au final très bien reçu, il n'y a donc pas d'enjeu de rejet comme on en voit souvent. Même son de cloche pour le papa, qui se permet même le même genre de remarque que les parents font pour les couples hétéros ( du genre: Fermez pas la porte de votre chambre"). Le papa finit par demander de l'aide, il est en processur de guérison. Alexandre a su canaliser Julian avant qu'il ne commette l’irréparable, et dont il peut s'estimer chanceux d'avoir un aussi gentil et empathique jumeau. De nouveaux projets sont en formation, l'équilibre revient enfin et peu à peu, la normalité est retrouvée. Certes, elle est différente, mais différente n'est pas "mal", comme le disent les jumeaux. La maman a comprit son erreur, mais le divorce est inévitable et pour ce qu'on en sait, les jumeaux ne sont pas prêts à parler à leur mère. Ça viendra, elle est de retours à Montréal. Ah, et Julian a résolu L'énigme de ce W+A qui est gravé sur le saule de leur école secondaire et qui a été un décor récurrent de l'histoire. Et il se trouve que ces deux personnes sont de même genre. Ce qui est beau dans cette histoire est que ce fut rapporté dans le journal de l'école, au même titre que l'aurait été une relation hétéro. Enfin, c'est mignon que Julian et Logan ait même songé à mettre leurs initiales à eux deux. L'amour fraternel entre jumeaux est tout aussi estimable que l'amour conjugal, finalement.
Je suis donc une fois encore appréciative d'une œuvre de Monsieur Champagne, autant que ma lecture de "Sacha", et je trouve qu'il amène dans le registre des romances homosexuelles d'autres dimensions sociales et personnelles intéressantes. Il n'y a donc pas que de la romance, il y a de la tranche-de-vie et du drame, et comme le fait très bien généralement la littérature jeunesse québécoise, c'est traité de manière très terre-à-terre, sans le sensationnalisme totalement invraisemblable que je croise souvent dans les romans de nos voisins du sud. Il me semble que le drame dans la vie n'a pas besoin d'être engraissée de surenchère dramatique, elle mérite au contraire d'être traité avec doigté et authenticité. Et cela, monsieur Champagne le fait assez bien, je trouve. Il nous livre de très beaux personnages et sait traiter des sujets universels dont nous avons bien besoin de lire, surtout dans ce monde qui s'ouvre enfin aux diversités. Un roman dot j'ai déjà hâte de parler aux bibliothécaires, aux profs et aux ados.
Précision supplémentaire: Il y a quelques scènes intimes, mais aucune explicites.
Pour un lectorat adolescent à partir du premier cycle secondaire, 12-15 ans+
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Créée
le 22 mai 2024
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