Lucien Leuwen, c'est un long roman sur la société pendant la monarchie de Juillet. Stendhal ne cache que très peu son mépris pour cette société monarchiste de l'apparence, de la dispute et des non-dits. Avec son ironie piquante et systématique, la quasi-totalité des personnages du roman apparaissent comme des Tartuffe, des acteurs zélés et engagés dans leur époque mais dont le ridicule ne peut pas échapper au lecteur. Stendhal décrit une France décadente et désenchantée, où les idéaux de la Révolution ont été piétinés par une nouvelle bourgeoisie méprisant l'ancienne noblesse légitimiste qui espère encore un retour à ses privilèges du siècle précédent. On y retrouve tous les ingrédients d'une société en déclin : la corruption, le népotisme, l'hypocrisie et la stupidité.
Le personnage éponyme fait pourtant exception. Lucien est un jeune polytechnicien, admirateur des idéaux de la République et fils d'un riche banquier parisien. Il est charmant, son entourage l'admire, le respecte ou l'envie, mais il ne laisse personne indifférent. Il ne fait pas exception aux gens de son âge : il cherche sa place dans un monde où les idéaux sont piétinés par toutes les considérations prosaïques et ennuyeuses de son époque. Engagé dans un régiment de lanciers à Nancy, il veut croire à une histoire d'amour avec madame de Chasteller. Cette histoire, aussi intense que brève, se termine lorsque Lucien est rattrapé par ses origines. De retour à Paris, il est propulsé malgré lui et grâce à l'influence de son père au ministère de l'Intérieur. De là, il est le témoin interrne du pouvoir dans ces tristes années 1830. Manipulation d'éléctions, mépris des élites pour les nouvelles classes populaires, détournement de fonds publics, trafic d'influence, etc. En l'espace de quelques mois, rien ne lui est épargné. Son intelligence lui permet de s'en sortir facilement dans ce monde dont Stendhal nous montre habilement qu'il est peuplé de gens médiocres et sans esprit.
Et ensuite ? Le roman s'achève assez brusquement, mais avec un sentiment d'en avoir assez vu. Stendhal n'est pas Balzac, mais sa vision perçante de l'âme des hommes n'a que trop bien réussi à nous montrer ce qu'il méprisait le plus dans la société du XIXe siècle. Lucien Leuwen, c'est un peu l'archétype du jeune homme brillant, pleins d'illusions et d'idéaux mais que la société aura finalement réussi à enfermer.