A l'université de Liège, là où j'ai passé une grande partie de mes études supérieures, se tiens depuis quelques années déjà, des cours, indépendant de tout cursus académique, sur la culture du jeu vidéo. Il faut admettre, sans chauvinisme de ma part, qu'il s'agit d'une université que ne craint pas les expérimentations et encourage même des initiatives de la sorte sur des sujets divers et variés. N'ayant malheureusement jamais eu l'occasion de participer à aucun de ces cours et de ces conférences, c'était avec plaisir que je découvrai la parution de ce livre aux presses universitaires de Liège. Découverte, surtout faite par ma femme que je remercie d'ailleurs à l'occasion (mais c'est pas le sujet, on s'en contrecarre l'artichaud).
Ludographie Comparée est donc le titre éponyme d'une émission radio, maintenant révolue, tenue par l'auteur lui-même. Mais le livre n'est en aucun cas un receuil ou une quelconque collection de tout ce qui a pu être un jour dit dans l'émission radio (quoique, je ne peux pas en être certain vu que les archives de l'émission ne sont plus accessible), mais s'inscrit bel et bien dans une démarche de recherche scientifique, d'où le sous-tire Essai de grammaire systémique du jeu vidéo. Le titre peu paraître intimidant aux premiers abords, laissant croire à un livre au style pompeux, quel que soit la qualité du propos, dont on y aurait accès finalement qu'à condition de devoir passer péniblement chaque phrase au peigne fin, plusieurs fois s'il le faut, un peu à l'image d'autres auteurs comme Bourdieu. Mais je vous rassure, il n'en est rien. Tout en sachant rester dans une démarche académique, l'auteur alors conscient sans aucun doute de la popularité du média, va s'afférer à expliquer les concepts primaire de l'analyse grammaticale de la Langue (avec un grand L) afin de les transposer dans une analyse grammaticale des Jeux Vidéos (avec un grand JV). C'est ainsi que l'auteur introduit le concept d'interactème, néologisme crée par l'auteur, qui a valeur d'unité de jeu vidéo, à l'image d'un mot qui aurait la valeur d'unité au sein d'une phrase. Bien évidemment, je ne prétends pas qu'il ne faille pas dédier un certain effort à la lecture de ces concepts, mais celui-ci reste léger soyez rassurés. D'ailleurs le concept même de l'interactème peut être définie de manière extrêmement bâtarde de la manière suivante : "T'appuyes sur un ou des trucs, Ca fait un truc à l'écran. Le truc qui se produit à l'écran est donc l'interactème"
Si la définition abrupte du concept que je viens d'écrire semble pourtant claire, mais que Mathieu Goux y consacre un livre d'un peu plus de 120 pages théoriques (en omettant les références) c'est que ce n'est sans doute pas pour des prunes. En effet, ce concept d'interactème va être confronté par l'auteur lui-même avec d'autres concepts d'unités de jeu vidéos, alors antérieurs à ce dernier, comme le ludème par exemple, et même à d'autres concepts d'unités au sein d'autres grands arts comme le théatre, le cinéma ou tout simplement la littérature. L'exercice auquel se plie l'auteur à d'ailleurs comme dessein de disséquer le jeu vidéo afin d'y trouver son essence, sa substantifique moelle. Par ailleurs, avant de le disséquer, l'auteur n'oubliera pas de définir, en préambule de son ouvrage, Qu'est-ce qu'un jeu vidéo. La question peut prêter à sourire, mais ceux qui se sont essayé un jour à définir le concept même de jeu (et qui se seront irrévocablement cassé les dents à leur coup d'essai) trouveront sans doute la question pertinente.
Au gré de sa recherche, Mathieu Goux en plus de définir et confronter son concept n'oubliera pas d'utiliser son outil nouvellement créé pour offrir une grille d'analyse du jeu vidéo avec l'interactème, et par conséquent le gameplay, comme pierre angulaire de sa fiche analytique. Car oui, par la même occasion, l'auteur répond à une question soulevée par l'observation faite des Games Studies, où tout joueur est soit ludologue soit narratologue. L'auteur y révèle alors son point de vue sur la question (qui conforte d'ailleurs ma propre position de ludologue) et tranche, c'est bien le gameplay qui est au coeur du jeu vidéo et qui en fait irrémédiablement la spécificité du média. Il justifiera alors son propos comme quoi, c'est bien ce qui fait office d'interactème, qui est la proposition esthéique la plus prégnante d'un jeu vidéo et qui mérite donc que l'on pondère sa qualité plus fortement que le reste, sans pour auant oublier ce qui se trouve en périphérie, bien sûr.
Mon seul regret peut-être par rapport au livre se trouve dans sa conclusion. Non seulement celle-ci n'apporte rien de plus que ce que l'auteur aura déjà conclu auparavant dans les chapitres précédents, mais en plus ce dernier se laisse aller à des réflexions plus romantiques autour du jeu vidéo. Il s'est efforcé jusque là d'effacer toutes ces considérations jusqu'alors de savoir si un gameplay est bon ou mauvais, si un jeu est beau ou laid, quoi que tout cela veuille dire, cela n'avait aucune importance ni pertinence dans l'analyse de l'auteur. Alors qu'on s'entende bien, je n'ai aucun problème avec la démarche finale de l'auteur, de se libérer des carcans académiques, mais je lui repproche justement de ne pas l'avoir assez fait. Car l'auteur va entre-ouvrir la question sur l'état du jeu-vidéo en tant qu'art total, d'art noble, d'artisanat ou de "simple" produit culturel, mais sans jamais vaquer à l'écriture au gré de ses pensées et de son avis. Si je salue la démarche jusqu'au-boutiste de l'exercice, je trouve dommage que l'auteur n'aie pas eu l'envie de vaquer à l'écriture au gré de ses pensées et de ses opinions sur la question, quitte a susciter une vive émotion chez le lecteur au point de vouloir s'amouracher, ou au contraire de rejeter totallement la conclusion, quitte à simplement ignorer cette dernière partie lors d'une éventuelle relecture.
Hormis ce détail, le livre se présente presque comme un incontournable pour tout ces amoureux du jeu vidéo, qui au-delà de subir l'engouement des dernières super-productions ou autres jeux à la mode, souhaiteraient approfondir leur compréhension du médium dans ce qu'il a de plus pur.