Là, j'ai franchement honte. Pas LA honte, mais honte tout court. J'ai ri. De bon cœur et nerveusement. Un rire grinçant ou enthousiaste. Je pense être passé par toutes les phases du rire avec cet ouvrage. Mais j'ai honte. D'avoir ri. De choses aussi tristes et dramatiques que sont le meurtre organisé de civils irakiens, le sacrifice d'une génération de jeunes américains, pour quelques magnats du pétrole et leurs amis politiques. C'est un drame qui se noue encore plus chaque jour et, Terry Jones arrive à en tirer tout le ridicule, tout l'abject, tout le plus ignoble par le rire salvateur propre aux Monty Pythons.
Terry Jones a fait parti de ce groupe d'humoristes britanniques qui me gavaient dans ma jeunesse car je ne comprenais rien à leur humour so british qu'on appelle le nonsense. Pourtant, aujourd'hui, j'aimerais tant les revoir dans leur fabuleux Magic Circus. Le nonsense, c'est plus que de l'humour, c'est un cri. Defoe et Swift en usèrent aussi à leur époque car c'est une vision qui dénonce, au travers du ridicule des situations, les travers de la société.
Terry Jones est devenu conteur et historien fasciné par l'époque médiévale. Il a gardé le sens critique et la vision qui firent le succès des Monty Python. Avec l'œil de l'anatomiste, il sait quels points sont plus douloureux que les autres. Il a commis, depuis le 11 septembre, quelques textes parus dans des journaux britanniques et américains. Critique et cynique, il y dénonce, dévoile et commente, à sa manière, l'actualité guerrière de l'«axe du bien». Il y a, dans son approche, la finesse sémantique d'Eric Hazan, dont j'ai jadis vanté les mérites de son « LQR la propagande au quotidien ».
Ainsi, il décortique la guerre livrée par les Etats-Unis et leurs alliés à l'Irak comme suit : lorsque les Etats-Unis furent certains, aux dires des observateurs, que l'Irak n'avait pas d'armes de destruction massives et qu'elle était militairement impotente, embargo oblige, ils bombardèrent le territoire irakien. Ils appelèrent cela la guerre. Or, tuer des civils et des ennemis sans défense, cela s'appelle du tir au pigeon... pas la guerre. Lorsqu'ils mirent en place le gouvernement de collabos qui devait les servir durablement et que les irakiens commencèrent à s'en prendre aux marines, ils appelèrent cela une rébellion alors que c'est la vraie guerre qui commençait.
Un terrible retour à la réalité des actes et des mots. Mais Terry Jones n'a rien perdu de sa fougue « pythonesque » et emploie ici l'humour pour dénoncer l'absurdité des cette guerre au terrorisme. La plupart des textes sont purement critiques, mais lorsqu'il met l'humour au service de sa démonstration, cela devient anthologique. Ainsi, il nous raconte la méthode employée par un père qui est tracassé par son fils qui ne rentre pas directement à la maison après la chorale : il ne lui reste plus que la torture, mais la torture selon Rumsfeld. Et puis, il y a cette remise de prix où l'humour le dispute à l'ignoble. Sans parler des aigreurs, bien compréhensible, qu'il adresse à Tony – ramène le nonosse à Georges – Blair.
Pour conclure, il convient de rendre hommage à des gens qu'on oublie trop souvent, mais sans lesquels bien des ouvrages perdraient leur substantifique moelle. Ils se nomment ici Marie-Blanche et Damien-Guillaume Audollent. Ils sont traducteurs et ont su respecter l'esprit des textes de Terry Jones en ayant des échanges continuels avec l'auteur. Il n'est pas donné à tout le monde de lire des ouvrages dans le texte, dans la langue d'origine. Sans dénaturer en rien l'œuvre et en faisant montre d'une maîtrise incroyable de nos deux vocables, ils ont su restaurer l'esprit du nonsense. Le nonsense, cela parait difficile à traduire en français, mais cela peut se faire efficacement à l'image de Pierre Desproges ou de Raymond Devos. Un superbe travail qu'il convient de reconnaître comme étant d'une très grande qualité. Des histoires tristes, dites avec humour et humanité. Un bien bel ouvrage. Finalement, c'est parfois bon la honte.