Très chouette bouquin qui vous donne les clés pour une bonne compréhension de la situation allemande et qui détricote avec bonheur cette sotte admiration chez les politiques et les médias actuels pour les choix d'austérité que nous prônent nos voisins germaniques.
Le livre commence avec une description détaillée de la société allemande, telle qu'elle s'est constituée depuis 1871. Ce portrait est superbement écrit et argumenté, et donne une vision claire à la fois de la mentalité sociale allemande et des pratiques économiques de ce pays. J'ai été bluffé par la clarté de cette exposition et on y découvre beaucoup de choses contre-intuitives sur ce pays souvent caricaturé ou ignoré. On retiendra notamment les pratiques d'apprentissage, les retards dramatiques en matière d"égalité hommes/femmes, le vieillissement drastique de leur population et l'existence des corporations par métiers qui assurent à l'intérieur des entreprises une réelle négociation entre les acteurs économiques.
Puis Guillaume Duval s'intéresse à cette Réunification et au coût qu’elle a entraîné. Les Allemands ont remarquablement géré cet énorme projet, mais cela s'est fait en partie en sacrifiant la croissance chez leurs partenaires européens par leur politique bancaire anti-inflationniste. Cette réunification est aussi ce qui les a conduit à accepter en maugréant un Euro qui aujourd'hui est bien problématique.
La troisième partie du livre, tout aussi bien argumentée, est un poil plus polémiste dans le ton car mr. Duval ne retient pas ses coups contre la politique de Mr. Schroeder, homme faussement de gauche (il a détruit le SPD, comme Hollande semble détruire le PS) qui eut à cœur de casser le système social allemand, s'attaquant sans vergogne ni retenue aux plus faibles de la société allemande pour complaire aux élites économiques de son pays. On ne peut qu'acquiescer au jugement de Duval sur cette politique mortifère qui ne'st pas sans rappeler ce qui se passe chez nous depuis quelque temps... Duval insiste aussi sur la fascination du chancelier pour le modèle Blair/ Bush, fascination qui a mis fin au couple franco-allemand cher à Kohl et Miterrand.
La dernière partie parle de la situation actuelle, où la chancelière actuelle , en desserrant la politique de Mr Shroeder, profite plus de cette pause dans le saccage de l'économie que d'une réelle action de sa part contre la crise. Duval démontre le peu d’intérêt de l'Allemagne actuelle pour ses voisins et pour la construction européenne, eux qui profitent en fait de la crise de l'Euro pour leurs exportations et qui sont bien mieux placés pour affronter la mondialisation grâce à leurs machines-outils et leurs implantations ancienne à l'étranger et à l'Est. Mais Duval marque aussi les dangers qui menacent une Allemagne appauvrie par l'abandon d'une partie de sa population (femmes d'aujourd'hui et retraités de demain) et en passe de s'effondrer démographiquement. Il n'est pas sûr qu'en sacrifiant l'économie de ses voisins au profit de ses rentes, l'Allemagne se mette hors d'atteinte de ses démons intérieurs...
Ouvrage lumineux et remarquablement argumenté que je ne peux que vous recommander et qui ouvre les yeux sur les structures de l'économie allemande tout en mettant en garde sur la tentation de suivre un "modèle" bien plus fragile qu'on ne le croit. Excellent...