Ah ben non, là, mon gars Caryl, t'es à côté de la plaque avec Magali. Tu as raison, le fait divers, c'est pas ta came. Tu nous dis que c'est une idée de ton éditrice ? Bah oui, le type même de la fausse bonne idée.
Ça me fait mal aux doigts d'écrire ça, moi qui suis une fan de la première heure. J'ai même chroniqué dans une feuille de chou locale un des tes premiers opus quand tu n'étais encore connu que de ton escalier rennais (au demeurant, très belles boiseries anciennes !). C'était déjà tout ce que tu as montré plus tard : bien ficelé, un style à réveiller les cadavres, un sacré fond d'humanité, de l'énergie et un savoir-faire quasi inné.
Depuis, je te lis de Zulu à Paz et Mapuche avec arrêt à Okavango. Parfois, tu me fais peur. Peur quand ton trop plein de facilités déborde dans les marges et qu'on frise le hors piste. Que tu es limite de faire le kéké.
Mais ton rayon, le polar enragé, lointain et documenté, c'est cadré, c'est carré et ca sait où ca doit aller. Beau travail.
Là mon Caryl, tu te perds dans cette histoire de féminicide montfortais (si peu montfortais d'ailleurs). Et tu nous perds.
Tu nous perds dans une histoire où il n'y a rien à gratter. Tout a été dit, tu le sais, tu reproduis d'ailleurs longuement les journaux qui ont traité les faits.
Tu te perds dans une nostalgie de l'enfance, tu réécris ton cv façon 400 coups de la ruralité avec la fatuité d'un tonton un peu bourré le soir de Noël. Là, cette fois, tu fais ton kéké.
Parlons-en des Bretons bourrés. C'est tellement facile de gagner la sympathie du lecteur avec les histoires fanfaronnes de bistro, de vomi de fin de soirée et de dégâts humains sur les routes de Haute et Basse Bretagne.
C’est vrai qu’en Bretagne, rien n'a changé. Ou rien ne doit changer. C'est folklore et compagnie. Ca se déroulait en Finistère qu'on avait droit au fest-noz du we. Et toujours pas de Magali.
Ah si pardon, y a eu du changement en Bretagne. En pire. En moins pittoresque. Dans ton bled de naissance, Montfort, celui où Magali a habité, il y a trop de ZA. D'ailleurs, il y a trop d'habitants, tu reconnais plus tes petits. Tu sais, les couillons du collège privé, les filles qui t'initiaient, les entraîneurs de foot avinés et les gentils bénévoles du ciné. Y a même des curés pédophiles. Une aubaine de romancier.
Mais pas de Magali.
Bon, Montfort, Magali n'y aura finalement passé que 6 mois. Dès le début, tu le sens : circulez, y a rien à voir. Tu circules. Avec la Honda Civic de ta mère, qui vient encore flokloriser ton séjour (la Civic), peut-être pour faire davantage privé de L.A.
Pour occuper le terrain (faut bien pondre tes 180 pages en corps 14), tu nous ressers les classiques : l'extrême gauche rennaise qu'a tout bon, qui fait surtout écho à ta rébellion d'ado rural et rageux ; les journalistes locaux un peu bridés dans leurs élans mais qui en veulent ; le notaire atypique ; la pharmacienne qu'a pas sa langue dans sa poche. Bref, une esthétique de BD ligne très claire, alignée sur un récit complaisant.
Allez, sans rancune mais n'y reviens pas !
Ou alors, reviens en Bretagne comme tu vas au Pérou ou en Afrique du Sud. Sans a priori. Avec des choses à montrer. Une humanité à partager. Sans blabla.
PS : dans le genre- mais réussi -, il faut lire l'impeccable Laëtitia d'Ivan Jablonka.