Maïti Girtanner, issue d'une riche famille suisse exilée en France, se met au service de la Résistance pendant la seconde guerre mondiale. D'abord à Bonnes, à cheval sur la ligne de démarcation, où elle fait traverser moult soldats en zone libre et en cache même certains, avec l'assentiment tacite de sa grand-mère. Sa maîtrise de l'allemand et son culot lui permettent de réaliser des petits miracles. Puis à Paris, où elle est recrutée par les Résistants. Maïti est aussi une pianiste émérite, qui donna toute sa vie des cours de piano, faute de pouvoir donner les récitals auxquels elle était destinée.

Enfin et surtout, Maïti Girtanner est croyante. Très. Son témoignage est donc irrigué de foi chrétienne. Exemple, page 136 :

Je n'avais pas à choisir mon chemin, mais à l'emprunter. J'ai déjà eu l'occasion de le dire, mais c'est vraiment la ligne conductrice de toute ma vie : jamais je n'ai douté de la présence de Dieu en moi. Combien de fois avais-je rassuré des candidats au passage de la ligne de démarcation en leur expliquant que le Seigneur ne les abandonnerait pas.

A moins que si. Car c'est bien ce qu'il va faire, "un soir d'octobre 1943", en abandonnant Maïti aux mains de la Gestapo. Maïti s'en sortira mais en conservera des séquelles à vie, sa moelle épinière ayant été touchée.

Bien des années plus tard, Léo, le jeune médecin nazi qui commandait les tortionnaires, ayant appris qu'il allait mourir, vient la voir en la suppliant de le pardonner. Ce qu'elle fait, d'où le titre.

Bon, si le destin est exceptionnel, le livre l'est beaucoup moins. D'abord parce qu'il est bourré de bons sentiments, ce qui n'est guère surprenant de la part d'une fervente catho de l'époque. Maïti ne se contente pas de pardonner à son bourreau, elle a pour lui un authentique élan d'amour. Ensuite parce qu'on a souvent l'impression d'un exercice d'autosatisfaction, sur le mode "je ne pouvais pas faire autrement que d'aider ces gens, je suis comme ça, que voulez-vous, certains ne l'ont pas fait, je ne les juge pas [bien sûr que non], c'est à eux de voir avec leur conscience". Enfin, parce que la litanie "je n'ai fait que me mettre dans la main de Dieu" finit par desservir le récit.

Par ailleurs, Maïti Girtanner n'étant pas écrivaine, c'est le journaliste du Figaro Guillaume Tabard qui a dû se charger de rédiger. Comme lui non plus n'est pas écrivain, la langue n'est pas très travaillée. Il y a même quantité de coquilles, que j'ai commencé à relever, avant d'arrêter rapidement car il y en avait trop... Page 20 :

Et bien utilisez les mois qui vous restent à faire le bien autour de vous, à aimer ceux qui vous entourent.

Outre le prêchi-prêcha catho, on notera dans cette simple phrase une faute et deux faiblesses de style :

- la faute : "et bien" au lieu de "eh bien"

- les deux faiblesses : on dira plutôt les mois "qu'il vous reste", et on eût pu éviter la répétition du mot "bien".

Page 24 :

Plusieurs de ses membres se sont également succédés...

Ils ont succédé les uns aux autres, donc "se sont également succédé".

Un peu plus loin, une faiblesse de style, la répétition des "et" dans une même phrase :

Plus exactement, sa mère mourut à sa naissance et mon grand-père s'est remarié très vite et a eu six autres enfants...

Il eût fallu un point après "naissance".

Page 62, on fait dans la grosse coquille :

Le colonel savait donc que ce n'était pas à lui que je viendrai une nouvelle fois le déranger !

Bigre. Elle a voulu écrire "Le colonel savait donc que ce n'était pas lui que je viendraiS une nouvelle fois déranger" j'imagine ? Voilà qui justifie bien le point d'exclamation.

Allez, un petit dernier pour la route, c'est le cas de le dire ici :

Aussitôt après y avoir été engouffrée, la voiture démarra sur des chapeaux de roue.

Règle de l'apposition : le sujet qui suit la virgule doit se rapporter à ce qui la précède. Donc, il eût fallu écrire par exemple : "Aussitôt après y avoir été engouffrée, je sentis que la voiture démarrait sur des chapeaux de roue". Et encore, je ne suis pas sûr qu’on puisse utiliser le verbe s’engouffrer à la forme passive (j’ai été engouffrée ? ).

Tout cela est à imputer à Guillaume Tabard, puisqu'il s'est associé au livre. On se demande aussi ce qu'a fait l'éditeur, ce CLD Editions, pour laisser passer autant de problèmes, dont la liste est ici loin d'être exhaustive...

Mais ne soyons pas uniquement négatif : reste le témoignage de cette femme, qui est précieux en soi. Par exemple, les soldats allemands sont décrits comme humains et dotés d'un vrai sens moral, à l’opposé des cruels SS. Ce que me confirma mon père qui a vécu jeune cette période. Concluons donc par une note positive, avec ce chouette passage, page 163 :

Nous vivons toujours dans l'espoir du caractère passager d'une blessure, dans l'attente que tout redevienne comme avant, que le fil de l'histoire se renoue. Là, c'était différent. Des centres nerveux avaient été détruits en moi, que je ne récupèrerai [manque le "s" ici, concordance des temps...] jamais. Il n'y avait donc pas à reconstruire ce qui avait été détruit, comme on le fait en remontant une à une les briques d'une maison écroulée. Il s'agissait bel et bien de construire sur des bases neuves que je n'avais pas choisies.
C'est un défi épouvantable. D'abord parce que c'est la même personne dont il s'agit. C'était bien moi, bien mon esprit, mes pensées, mes sentiments. Mais la continuité que j'éprouvais dans ma tête et dans mon coeur devait gérer une discontinuité de ma condition physique. Le risque de schizophrénie existe.

L'idée est intéressante pour le coup, mais de nouveau mal exprimée : une continuité qui gère quelque chose ?

Voilà altérée ma note positive ! Décidément, ce Guillaume Tabard n'a pas été à la hauteur du récit qu'il a voulu transmettre. Un vrai bourreau de la langue ! Ce qui ne lui enlève pas son âme, Maïti, je sais.

5,5

Jduvi
5
Écrit par

Créée

le 8 sept. 2023

Critique lue 23 fois

Jduvi

Écrit par

Critique lue 23 fois

Du même critique

R.M.N.
Jduvi
8

La bête humaine

[Critique à lire après avoir vu le film]Il paraît qu’un titre abscons peut être un handicap pour le succès d’un film ? J’avais, pour ma part, suffisamment apprécié les derniers films de Cristian...

le 6 oct. 2023

21 j'aime

5

Le mal n'existe pas
Jduvi
7

Les maladroits

Voilà un film déconcertant. L'argument : un père et sa fille vivent au milieu des bois. Takumi est une sorte d'homme à tout faire pour ce village d'une contrée reculée. Hana est à l'école primaire,...

le 17 janv. 2024

17 j'aime

3

Gloria Mundi
Jduvi
6

Un film ou un tract ?

Les Belges ont les frères Dardenne, les veinards. Les Anglais ont Ken Loach, c'est un peu moins bien. Nous, nous avons Robert Guédiguian, c'est encore un peu moins bien. Les deux derniers ont bien...

le 4 déc. 2019

17 j'aime

10