Mâle baisées
5.7
Mâle baisées

livre de Dora Moutot (2021)

Mâle Baisées parle, comme son nom l'indique, de patriarcat sous les draps, des ressorts patriarcaux systémiques qui empêchent les femmes d'être bien baisées et obligent les hommes à les traiter (comble de l'ironie) de mal baisées. Par qui ? Par eux pardi.

C'est un grand tour d'horizon très ambitieux pour ses plus de 400 pages, donc on ne peut que grapiller des informations sans trop les creuser (la bibliographie est très fournie), et un nombre extrêmement dense de faits statistiques, historiques, sociologiques, sont énumérés, en autant d'anecdotes et témoignages (révoltants), de pratiques (pernicieuses) et de techniques (ré-jouissantes) pour sortir du trou.

On est malheureusement souvent déprimée ou révoltée par la litanie des injustices que supportent le corps des femmes depuis des millénaires, mais aussi intriguée par les pistes qui fourmillent dans tous les sens, et nous donnent du grain à moudre. Il y en a pour tous les goûts, et j'ai apprécié ce dédale foutraque mais inventif !

Difficile par contre pour moi de ne pas faire abstraction de la forme... Ce qui peut être perçu comme éloquent à l'oral sonne très brouillon voir bâclé sur le papier. Comme si ce manuscrit était un premier jet, et pas un essai publié.

Le parler (ou plutôt l'écrit) est très franc et parfois un peu vulgaire. Il passe bien à l'oral mais est rédhibitoire pour moi à l'écrit. J'ai l'impression qu'il a été presque dicté...

J'ai vraiment eu l'impression que Dora Moutot oscillait entre la volonté journalistique d'écrire un essai (énormément de références bibliographiques) et la tentation du pamphlet. L'équilibre est mal géré et j'aurai aimé soit un ton neutre et circonstancié, soit un brûlot.

Sur la tentation pamphlétaire, lorsque je lis ce genre de passage : "AHAHAHAHAHAHAHAHAHA !!!! MAIS QU'EST-CE-QU'ON SE MARRE !!!!! Donc le mec viole, c'est-à-dire qu'il s'en bat les couilles du consentement de la femme, mais on va quand même lui demander son consentement à lui pour mettre sa vite au pas ? Mais dans quel monde vit-on ?", ça décrédibilise complètement pour moi le propos de l'autrice, malgré toute la rigueur du monde qu'elle a exercé pour le fond. J'ai d'ailleurs eu l'impression que le ton "café du commerce" s'amenuisait sur la fin (peut-être parce qu'on y aborde des sujets très graves qui imposent une certaine sobriété, comme le viol ?), une raison supplémentaire de penser que le travail éditorial sur le manuscrit a été hâtif.

Des pépites de réflexions s'alternent avec un ton familier lorsque la thématique est plus légère, et on se fait subitement alpaguer, agresser presque, par la rage de l'autrice. Avec beaucoup de maladresse je trouve, car d'autres autrices maîtrisent ce ton sans que ça me choque : Virginie Despentes par exemple.

Pour le côté essai, c'est en effet d'autant plus dommage qu'on ressent une intégrité intellectuelle dans le traitement des différentes sources. J'aime beaucoup la fantaisie déployée pour proposer un livre qui sorte de l'ordinaire dans les angles choisis. On y lit des chapitres passionnants sur l'hymen, le tantrisme, la gynécologie moderne, l'injaculation ou encore la circlusion (quel beau néologisme !) ... qui donnent envie de creuser un peu plus chaque piste. On sent que l'autrice a énormément lu de choses, car elle compile beaucoup de citations extrêmement pointues et éclairantes. Même si j'ai aimé ces apports presque encyclopédiques, c'est une autre limite que je vois dans ce basculement peu maîtrisé, qui rend l'un (pamphlet) et l'autre (essai) caduque : on est sur un travail de documentation et d'archivisme gigantesque, l'ingurgitation d'une somme folle de livres divers sur la sexualité hétéro féminine, et ce sont ces citations qui articulent le squelette du livre. Pas la pensée de l'autrice.

La pensée elle, circule mal dans le fourmillement de toutes ces informations. Les extraits obligent Dora Moutot à les lier entre eux de façon efficace mais peu fouillé. Je salue quand même cette digestion monumentale, qui me permet d'apprendre en 400 pages l'essentiel de centaines d'heures de lecture. On a du pain sur la planche, et c'est décidément pas les hommes qui le couperont correctement dans un premier temps...

aaiiaao
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le 12 déc. 2023

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