Après avoir achevé ma lecture de De Rerum Natura en début d'année, j'ai décidé de continuer mon lent parcours philosophique en lisant le Manuel d'Épictète, mon premier ouvrage stoïcien.
Ce qui me fait le plus peur quand j'ouvre un livre philosophique, c'est de me retrouver face à une pensée « datée », qui peut à la limite s'avérer amusante à lire, mais qui ne se relève pas si intéressante que ça lu aujourd'hui… ce n'est absolument pas le cas du Manuel. Faut dire aussi que sortant de Lucrèce (que j'ai dé-tes-té !), je ne vois pas comment l'ouvrage dont il est question ici aurait pu encore moins m'accrocher. Certes, certaines parties du Manuel font dater et ne présentent plus aucun intérêt aujourd'hui, voir nous rappellent que les Grecs étaient vachement rétrogrades sur certains points (on ne présente plus leurs rapports aux femmes), mais les leçons restent dans l'ensemble bénéfiques.
Quoique, si pour moi les leçons ont été bénéfiques (et à vrai dire, j'en appliquais déjà quelques-unes), je ne saurais dire si c'est réellement le cas, du moins en règle générale. Le stoïcisme sera repris par beaucoup, malheureusement, à leur compte par les chrétiens et ouvrira, contre son gré certes, la voie au développement personnel (beurk !). Selon moi, il ne faut pas voir le stoïcisme comme une philosophie à part entière, mais plus comme un ensemble de règles et conseils à appliquer en plus de la philosophie que nous suivons déjà (Épictète voyait de toute façon la philosophie comme pratique, et non intellectuelle ou discursive). C'est peut-être pour ça que, malgré ma désagréable lecture de De Rerum Natura, que je me reconnais davantage dans l'épicurisme que le stoïcisme : cette première faisant encore « cœur » avec le monde qui nous entoure, contrairement au stoïcisme qui donnerait presque l'impression de prescrire que chaque homme doit s'occuper uniquement de lui… et c'est une personne très solitaire, fort probablement atteint de troubles cliniques, qui vous dit ça !
Mais là me vient une autre interrogation. Le stoïcisme étant repris aujourd'hui par nombreux gourous du développement personnel et autres aliénés libertariens, la gauche n'aurait-elle pas intérêt à reprendre à son compte cette philosophie qui, originellement, et par opposition aux philosophies pour aristocrates conçues par Platon et Aristote, était ouverte à tous ? Je pense qu'il est nécessaire de rappeler d'où vient Épictète. De rappeler son passé d'esclave, ses premiers pas dans une Rome « tyrannique » qui finira, comme bon nombre de ses semblables, par le chasser. Bien que datant de plus d'un siècle en arrière, la révolte de Spartacus était encore dans les mémoires et d'autres révoltes et autres tentatives de fuites auront encore lieu à l'époque d'Épictète.
Ou bien sommes-nous face à un problème irrésolvable ? En effet, toutes les philosophes post-hellénique qui reprendront le stoïcisme s'accorderont (directement voir indirectement d'une certaine manière) sur le fait que le stoïcisme soit révolu. Les néostoïciens tenteront le compromis impossible entre christianisme et stoïcisme, Descartes tentera quant à lui de tout reprendre à zéro, Pascal se montrera plus franc en admettant l'incompatibilité entre christianisme et stoïcisme, enfin, Foucault constatera un intérêt éthique du stoïcisme tout en étant bien conscient sur l'impossibilité de son retour.
Mais n'était-ce pas déjà le cas pour Marc Aurèle qui, en écrivant bien pour lui-même, n'admettait pas, par corollaire, la disparition des stoïciens ?… bon, je n'ai pas encore lu Pensées pour moi-même donc pour le coup, la confirmation va devoir attendre un peu.