Mapuche
7.7
Mapuche

livre de Caryl Férey (2012)

Retour de lecture sur "Mapuche", un polar écrit par Caryl Férey et publié en 2012. Ce livre raconte l’histoire de Ruben, fils d’un célèbre poète assassiné dans les prisons de la dictature argentine, rescapé lui-même de ces mêmes prisons et de la torture. Il croise la route d’une jeune sculptrice Jana, issue du peuple indien Mapuche de Patagonie qui fut massacré par des colonisateurs, qui lui demande de l’aider et d’enquèter sur le meurtre crapuleux de son ami, un travesti nommé Luz. Ces deux personnages seront réunis dans une même douleur et révolte, pour mener une enquête dangereuse qui les emmènera dans le passé le plus sombre, le plus glauque de ce pays, les années de la dictature qui débutèrent en 1976 avec leur lot d’arrestations arbitraires, de tortures, de disparitions, d'appropriation d’enfants, etc…. L’auteur nous livre là un polar très noir, violent, sur un fond historique très dense et bien documenté. La violence, qui peut paraître exagérée, colle plutôt bien avec le propos et avec ce régime de terreur instauré par les généraux dans ces années. Ce livre, dépaysant, commence plutôt bien, l’intrigue semble assez intéressante, et on se laisse embarquer assez facilement dans cette histoire, même si elle est très sombre. Les références historiques sont elles aussi intéressantes, on a l'impression de voyager dans un autre pays, de découvrir son histoire récente et une autre culture. Mais cette bonne impression ne dure pas bien longtemps. Je n’ai absolument pas été convaincu par ce personnage principal, beau et ténébreux, la quarantaine, fils d’un grand poète du pays, qui est en même temps, excusez du peu, spécialiste en armes et en combats rapprochés. Sa faculté à sortir plusieurs fois vivant d’affrontements avec un groupe de barbouzes surarmés, sans scrupules, fait perdre une bonne partie de sa crédibilité à ce récit. Autant cela ne me gêne pas dans un livre de pur divertissement, pour lequel on sait qu’il vaut mieux débrancher son cerveau, autant dans ce cas c’est un peu décevant et place le livre dans un registre pas forcément attendu. Le côté historique du roman s'essouffle également, et celui-ci devient de plus en plus invraisemblable au fur et à mesure qu’on avance dans le roman. L’auteur a tellement voulu intégrer d'éléments de l'histoire et de la culture Argentine; les généraux de la guerre des Malouines, les tortionnaires de la junte militaire, les politiciens corrompus, les mères de la place de mai, le développement d’une grande ville comme Buenos-Aires, le développement viticole, l’immigration, le foot, le tango, que même si ça nous renseigne sur le contexte global, c’est tellement intégré dans le récit de manière artificielle, que celui-ci perd toute crédibilité. On a la désagréable impression de lire un livre qui pourrait s’intituler “L’Argentine pour les nuls”. Une autre difficulté que Caryl Férey n’a pas surmonté est celle de rendre vraisemblable son histoire d’un point de vue temporel et géographique. Les personnages principaux arrivent à localiser des cadavres enterrés depuis plus de 30 ans dans la cambrousse, au milieu des Andes, sans indications précises, avec autant de facilité que si cela avait été dans le jardin du voisin. Tout le récit est basé sur un enchaînement de coïncidences assez improbable et tout le monde se retrouve toujours au bon endroit, au bon moment, un peu partout dans les quatres coins de cet immense pays qui fait cinq fois la France. Cela en devient presque risible dans la dernière scène. Il reste ensuite une histoire d’amour plutôt mièvre et le côté thriller, qui lui est plutôt efficace, entretient un certain rythme même s’il est souvent prévisible. Au final, un livre qui est donc assez agréable à lire et divertissant, mais qui reste quand même très moyen, et plutôt décevant, pour quelqu’un comme moi, très regardant sur la vraisemblance de l’histoire.


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"Les femmes s'étaient réunies devant l'obélisque, un lange de bébé sur la tête, le panuelo, comme symbole de leurs enfants volés.

Défiant ouvertement le pouvoir, les Mères réclamaient l'"apparition en vie" de leurs proches, refusant le deuil sur ce principe: les enfants étaient partis vivants et, aussi longtemps que les tortionnaires n'auraient pas avoué leurs crimes, ces "disparus" resteraient vivants."

Daniel_Sandner
6
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le 20 juil. 2024

Critique lue 11 fois

Daniel SANDNER

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