Ma culture littéraire, aussi modeste soit-elle et au regard de ce que j'aime lire, souffrait d'un grand manquement : je n'avais jusqu'alors jamais rien lu de Stephen King. Ce qui est amusant avec cet auteur, c'est qu'on connait tellement bien son univers au travers de ses multiples adaptations cinématographiques que l'on ne sent pas le besoin de le découvrir... puisqu'on le connait déjà, en un sens. Son univers m'était familier alors même que je n'avais jamais tourné la moindre de ses pages.
Mais il fallait bien franchir le pas, un beau jour... Alors quoi de mieux comme première lecture que le premier roman que l'auteur ait écrit ? (mais publié bien plus tard).
Le principe de Marche ou Crève est particulièrement aguicheur. Il est simple, original, et dérangeant.
C'est l'histoire d'une marche, un concours national en Amérique qui rassemble les foules. Cent marcheurs s'affrontent. Ceux qui s'arrêtent sont exécutés, le dernier debout remporte le prix.
L'aventure que l'on vit est captivante et unique. La marche à laquelle on assiste est tellement folle que l'on est toujours intéressé par son déroulement. C'est tellement absurde que c'en est fascinant. C'est tellement malsain que c'est attrayant.
Mais une crainte me taraudait l'esprit déjà avant ma lecture. Comment tenir la durée avec une telle histoire ? Après tout, même si cette marche est assurément morbide, cela reste... une marche. Sans aucune possibilité d'action autre que celle de marcher. C'est l'histoire d'une centaine d'adolescents qui mettent un pied devant l'autre pendant plus de 300 pages. La mort des personnages ajoute du piment, mais le principe même du livre est redondant. Et même les morts, si elles sont des événements en début d'ouvrage, finissent par devenir une banalité quand 70 adolescents sont abattus... C'est un schéma condamné à se répéter. Alors, comment tenir la durée ?
Est-ce la finalité de l'oeuvre qui guide la lecture ? Pas réellement. Il n'y a jamais vraiment de suspense concernant le dénouement. Marche ou Crève est pour ainsi dire prisonnier de lui-même. On ne peut pas s'inquiéter de la survie de Garraty, notre héros, car s'il meurt... le livre s'arrête. Et il semble évident que l'on verra le bout de la marche, sans quoi le roman n'a plus d'intérêt. La fin est donc évidente dès la première page, sa résolution ne peut présenter que deux choix : la victoire du héros ou sa mort juste avant la fin.
Par cette évidence première, le roman perd déjà une première source de suspense. Il ne peut pas nous surprendre.
Alors, comment tenir la durée quand la fin est évidente et que le principe du roman est redondant ?
Il faut s'intéresser aux personnages secondaires, les autres marcheurs que l'on côtoie. Qui tombera en premier ? Qui nous abandonnera, qui nous donnera du fil à retordre, à qui s'attachera-t-on, qui sera-t-on triste de voir partir avant nous ?
Mais là encore, bien qu'il y ait des surprises minimes, la narration suit une structure classique et très prévisible. A l'issu des premiers chapitres, j'avais très bien compris quel serait le trio final, contre qui l'affrontement se ferait, et donc le roman ne m'a jamais étonné. Il propose pourtant un simili de révélation finale, mais celle-ci n'apporte rien au roman, et qui plus est je l'avais envisagé en cours de route.
A ce stade de la lecture de la critique, on finit vraiment par se demander quel est le moteur du livre !
Au final, je crois que ce qui m'a le plus captivé durant ma lecture, ce n'était non pas le dénouement de l'histoire, mais plutôt le fait d'avoir la retranscription de ce que serait un tel jeu si jamais il existait. Ce qui m'a plu, c'est le principe en lui-même. J'ai aimé imaginer, me mettre à la place de ces hommes marchant inlassablement, très vite rattrapés par la peur de la mort et la faiblesse corporelle. J'ai aimé me représenter ce que serait physiquement et psychiquement cette épreuve impossible et impensable. Comment réagiraient ces hommes ? Comment réagirions-nous ? Quelle force déploierais-je si je me retrouvais là, à marcher, contre le vent, contre l'absurde, contre 99 clones de moi-même perdus ici-bas ?
Forcément, les adolescents se trouvent forcés d’interagir entre eux. Là encore, ce n'est pas la finalité qui est le plus intéressant mais ces interactions en elles-mêmes.
Le jeu de relation est un des principaux moteurs du roman. La Longue Marche, c'est avant tout une histoire sociologique très intéressante, une expérience sociale... Comment sont censés interagir ces cent adolescents, quand la mort des autres symbolise leur propre survie ? Ne sont-ils pas tous ennemis, les uns contre les autres ? Assurément, mais ils sont également leurs seuls semblables, leurs seuls repères, ils forment un groupe, une entité, une identité, ils n'existent pas sans les autres. L'affection se tisse facilement, de même que la haine.
C'est un peu le coeur du livre.
Globalement, je trouve que ces idées sont exploitées, intéressantes, et bien déployées. Elles contribuent à enrichir le livre. Mais bien souvent, on reste à un degré simple, efficace, et même plutôt bon... mais je trouve que l'on n'atteint pas l'excellence, alors qu'un tel livre aurait facilement pu y prétendre de par son principe.
De même, je pense que la personnalité des différents marcheurs aurait gagné à être plus étoffée. S'ils dévoilent un peu d'eux-mêmes, je trouve que la plupart auraient pu être un peu plus humanisés, qu'on aurait pu aller plus loin dans l'introspection de chacun, et cela sans nuire à la narration.
Les adolescents soliloquent et philosophent, mais ne vont pas très loin dans leurs réflexions. King amorce beaucoup de choses, mais va rarement au bout de ses idées, de ses pensées, de l'inscription psychologique de ses personnages. Pourtant, il en a des idées, et c'est ce qui rend toujours le livre vraiment intéressant... Mais l'écriture de celles-ci ne brillera jamais par l'ampleur de leur intelligence. Il reste alors des réflexions simples, de la philosophie sans prétention, parfois bizarre selon les protagonistes, souvent intéressante, mais qui ne propose jamais réellement un point de vue qui fera réfléchir son lecteur.
Elle le stimulera au moins, et c'est déjà pas si mal dans un thriller. Mais dans un thriller qui repose principalement sur une lutte mentale, du combat de l'esprit sur le corps, du combat de la vie sur la mort ou de l'acceptation de la mort pour trouver la force de vivre... On en aurait aimé encore plus.
L'autre intérêt du livre, c'est sa critique sociétale, dans la mesure où elle critique les jeux télévisés en les comparant aux combats de gladiateurs de l'antiquité. On fait s'affronter des individus pour plaire à la foule. Il y a même le commandant, qui fait office de présentateur télé. Forcément, le jeu mis en place par King est plutôt extrême, mais j'ai trouvé son inscription intéressante. La Foule est bien traitée, toujours présente, et est clairement un personnage en lui-même. On en vient à la haïr, à la voir comme un ennemi, quand bien même au début du roman l'apparition de celle-ci ajoutait de l'intérêt à la narration.
Ce développement est vraiment bien fait. J'oserai même une interprétation en disant que le lecteur est tout aussi bien le personnage principal que la Foule elle-même. Après tout, n'a-t-il pas lui-même l'envie morbide de savoir qui sera le prochain à mourir ? Qui arrivera au bout de cette histoire ? (malgré sa prédictibilité). Ne sommes-nous pas nous-mêmes des spectateurs curieux et enthousiastes ? Evidemment, la barrière de la fiction nous protège, mais là encore la réflexion sociologique m'intéresse.
Pour ancrer son récit, King s'applique à l'inscrire dans un cadre d'Anticipation. De toute évidence, le roman se déroule dans le futur... L'Amérique n'est plus la même, son régime semble être dictatorial, mais l'on n'en saura guère plus. J'aime cette manière de dévoiler un univers implicitement, en le décrivant via des dialogues et non pas par une description bête et méchante. Cependant, à nouveau, King amorce mais n'exploite pas suffisamment son idée. Bien évidemment, ce n'est pas l'objet de son histoire, mais quitte à mettre en place un univers je pense que s'il avait été enrichi, le roman n'en aurait été que meilleur. La critique sociétale aurait eu encore plus de force.
Mais ma plus grande déception dans ce livre, ça reste sa fin. Plus le roman avance, plus King utilise des ellipses. A mon sens, c'est très pertinent. Le fait de raconter très en détail la première journée de marche est intelligent, cela permet de se rendre compte de l'épreuve que cela représente, de la fatigue grandissante... En plus de cela, c'est à ce moment là que l'équilibre mental des protagonistes est le plus fort, et donc le plus apte à la narration. Les ellipses servent donc à ne pas créer de répétitions dans le récit, mais symbolisent également pour moi la fracture progressive du psychisme de tous les personnages. Le fait de skipper de nombreuses heures sans nous les raconter montre bien leur futilité, leur non-existence, et cela crée une bonne énergie plus l'on s'approche de la fin.
Oui mais voilà, pour moi cette fin est ratée. Ratée car il y a trop d'éllipses, ou trop peu de narration sur les moments clés du final. Je m'attendais à ce que les derniers moments de certains personnages prennent du temps, mais ils sont horriblement expédiés. Je m'attendais à un vrai affrontement, un duel épique, sensationnel, mais tout se passe en quelques lignes, sans suspense, sans intensité... Ma profonde et malheureuse déception. Bordel, ça aurait pu être tellement mieux ! Je suis vraiment déçu que King ne se soit pas attardé sur ces passages là au lieu de privilégier certains bien moins intéressants plus tôt dans le livre.
Mais malgré mes diverses critiques et déceptions, Marche ou Crève reste un roman que j'ai particulièrement apprécié. Son histoire est intéressante et j'en retiendrais principalement l'expérience qu'elle nous fait vivre. L'expérience plus que l'histoire, car l'histoire est moins intéressante que l'expérience physique et psychique de celle-ci. A ce titre d'ailleurs, j'ai beaucoup apprécié le traitement de la douleur physique, du retranchement et du dépassement de soi. Mais l'ensemble du roman est loin de m'avoir convaincu de manière absolue. Cela n'en reste pas moins une lecture que je recommande, avant tout par curiosité, car c'est une aventure que l'on ne retrouvera nulle part ailleurs.