Les romanciers qui s'attaquent à des sujets historiques peuvent plus facilement éviter le piège d'une écriture lourde basée sur la simple et scolaire succession d'évènements, pour apporter une âme supplémentaire ainsi qu'un style dans l'écriture, ce que fait Stefan Zweig lorsqu'il écrit sur la dernière reine de l'ancien régime.
Pour cela, il s'appuie sur les archives de l'Empire autrichien ainsi que la correspondance du comte Axel de Fersen, qu'il a pu consulter intégralement. Il propose un voyage dans l'Histoire, faisant abstraction de l'image que pouvait (peut) avoir la reine pour se concentrer sur l'être humain, de son enfance particulière où elle fut arrachée à sa famille très jeune pour rejoindre la cour de France jusqu'à la fin et la décapitation durant la terreur.
Zweig s'attache à nous faire découvrir sa vie et sa psychologie, d'une éducation d'abord guère sérieuse jusqu'à devenir reine de France dès 15 ans, au côté d'un mari timide, solitaire et peu tourné vers elle. Louis XVI, qui sera d'abord incapable (lui et/ou elle) de faire le devoir conjugal et qui finira écrasé sous le poids de cette reine qui prendra de plus en plus de place, qui fera énormément parler le peuple et la cour et qui n'hésitera pas à tordre le cou à de nombreuses traditions.
Stephen Zweig parvient à capter l'âme de cette reine, dans ses bons et mauvais moments, à nous faire vivre la cour de Versailles puis la chute qui s'en est suivi, il parviendrait même à nous attacher à un régime monarchique, c'est dire de la réussite de Marie-Antoinette. Que ce soit l'affaire du collier, ses diverses constructions ou sa liaison amoureuse avec le comte de Fersen, l'écrivain nous montre avant tout la femme avant la reine, et ne se perd pas dans des théories ou interprétations (amour consommé ou non avec le comte ...).
Si Stefan Zweig n'élude aucunement la face sombre de ce couple royal, il parvient aussi, avec un peu de bienveillance, à mettre de la lumière sur eux (et elle). Il nous fait assez vite comprendre qu'il n'avait pas spécialement un mauvais fond, qu'ils étaient aussi victimes (le mot est certes un peu fort) de leur condition de naissance et qu'ils n'étaient pas spécialement à leur place dans cette époque (si ce n'est pas déjà le cas, Louis XVI mériterait aussi un tel livre).
Si la première partie de la vie de Marie-Antoinette est intéressante, c'est surtout d'un point de vue historique, et d'avoir à la fois un niveau de lecture allant dans ce sens, et un autre niveau bien plus intime, ainsi Zweig montre la place de cette femme dans l'Histoire. La seconde partie lui permet d'écrire avec une plume plus dramatique, et c'est la chute d'un régime et d'une femme qui voit tout son univers s'effondrer. Il montre alors bien que face à l'emprisonnement, un procès joué d'avance et la mort, elle gardera une dignité et gagnera même une empathie qu'elle n'avait jamais eue jusque-là.
Avec Marie-Antoinette Stefan Zweig capte une époque, avant et pendant de grands bouleversements, un couple royal et surtout une reine et la femme qui se cache derrière, et à travers une épopée fascinante, il dresse un portrait intime, avec style et passion.