Ni républicain, ni royaliste, Zweig se présente ici en humaniste. Il insiste à plusieurs reprises sur l'être moyen qu'a été Marie-Antoinette : ce sont les seules circonstances qui l'ont fait passer à la postérité, car elle n'avait pas l'intelligence politique d'une Médicis ou la vision d'un Louis XIV. Elle a pourtant droit à cette biographie objective et bienveillante dans laquelle Zweig s'efforce de chercher la vérité que des mensonges (qu'ils soient favorables ou défavorables à Marie-Antoinette) ont longtemps ensevelie.
Sa tolérance n'a d'égale que sa plume, et c'est bien son empathie d'écrivain qui prend le dessus ici : qu'importent ses erreurs politiques, elle était un esprit simple qui ne demandait rien d'autre que le repos auprès de ses enfants et de l'être aimé, le comte de Fersen. Il admet sans jugement le caractère frivole, dépensier et l'hédonisme de ses premières années, tout comme il reconnait sans réserve le courage, la dignité et la raison dont elle a pu faire preuve pendant les années difficiles.
La loi suprême de toute psychologie créatrice n'est pas de diviniser, mais de rendre humainement compréhensible ; la tâche qui lui incombe n'est pas d'excuser avec des arguties, mais d'expliquer. Cette tâche a été tentée ici sur un être moyen qui ne doit son rayonnement en dehors du temps qu'à une destinée incomparables, sa grandeur intérieure qu'à l'excès de son malheur, et qui, je l'espère du moins, sans qu'il soit besoin de l'exalter, peut mériter, en raison même de son caractère terrestre, l'intérêt et la compréhension du présent.
Versailles malmené par une enfant
Ses erreurs ont été multiples, car elle avait été sourde toute son éducation durant à l'importance de la diplomatie et de la politique. C'est avec toute la nonchalance du monde qu'elle faisait placer ses amis à des postes qui auraient nécessité d'être occupés par des fins stratèges (on pense aux faveurs accordées aux Polignac).
Le décentrement du pouvoir qui s'opère lors de son installation au Trianon est un pied-de-nez fait aux conventions et à la cour toute entière, car celle-ci ne peut plus chercher la faveur du couple royal car le roi et la reine se retirent dans une vie relativement privée, chacun de son côté.
Le coup de théâtre
Véritable personnage de roman, c'est face à l'épreuve que la Marie-Antoinette dévoile enfin sa vraie nature. Les premiers signes d'agitation nationale font de la cigale frivole et fêtarde une fourmi prévoyante et réservée. Forcée de réduire les dépenses, elle se tourne bientôt vers la compagnie modeste de ses enfants, et vers des plaisirs plus simples qu'auparavant.
Seul Axel de Fersen sera capable de lui faire conserver une forme d'espoir. Du moment où la Révolution conduira les époux royaux à s'installer aux Tuileries jusqu'au dernier soupir, en passant par les prisons que seront le Temple et la Conciergerie, il sera le conseiller, l'ami, le soutien de Marie-Antoinette ; son mari à la fois impassible et timoré étant incapable de la consoler ou de la sauver.
Marie-Antoinette ne sera reine qu'aux derniers instants de sa vie : quand dignement, elle affrontera les humiliations, le procès et la guillotine, preuve de l'essoufflement du système dynastique, mais également preuve du surgissement de la question de l'individu : elle n'était pas seulement un membre de sa dynastie, mais une femme comme une autre, dont les envies et ambitions différaient bien de ce que sa naissance exigeait d'elle.