Ce Martin Eden est un fantastique personnage romanesque.
Il a été dit, et c'est vrai, qu'il présentait de nombreuses similitudes avec Jack London lui-même - tous deux issus de milieux modestes, tous deux aventuriers... - mais il serait dommage de le réduire au simple statut de double du romancier.
La détermination de Martin à s'extraire de son milieu social, son acharnement à apprendre à lire puis à écrire, sa capacité à refuser toute forme de compromission, son refus du confort, son indifférence à la valeur marchande des choses, sont autant de qualités qui forgent, au fil des chapitres, une personnalité exceptionnelle, à la hauteur des plus grands personnages de la littérature.
Ainsi, dans la première partie, Martin se présente comme une sorte de double inversé d'Emma Bovary. En effet, l'héroïne de Flaubert est fortement imprégnée dans sa jeunesse par ces romans à l'eau-de-rose qui lui font miroiter une vie idéalisée, une vie rêvée qu'elle ne réussit à trouver ni auprès de son médecin de mari, ni plus tard en cherchant à fréquenter les gens de la riche bourgeoisie. Martin Eden, au contraire, est vierge de toute lecture. Il a vécu sa vie de jeune marin quasi analphabète et ce n'est qu'à l'occasion d'une rencontre avec une jeune fille de la haute société, Ruth, qu'il va se consacrer entièrement à la littérature, à la construction de son bagage culturel et à l’émergence de sa conscience politique. Et si son projet initial, devenir écrivain afin d'accéder, en termes de classe sociale, à la femme qu'il aime va fortement contribuer à sa motivation dans les premiers temps, il prendra ensuite conscience du pouvoir de nuisance que représenterait sa soumission aux exigences de ce milieu auquel il se sent si étranger.
Et de fait, Martin Eden est un véritable manifeste politique. Jack London, dont on connait les orientations politiques proches du socialisme (il soutiendra les révolutionnaires mexicains et se présentera lui-même à des élections municipales ), propose avec son personnage de Martin Eden, une incarnation des valeurs qui sont les siennes - la solidarité avec les plus pauvres, la générosité, l'intransigeance, l'honnêteté - tout en fustigeant l'individualisme prôné par la classe dirigeante.
Le deuxième partie du roman est captivante et les dernières lignes sont parmi les plus poignantes qu'il m'ait été donné de lire.
Un grand roman.
9.5/10