Martin Eden, c'est l'histoire d'un marin d'Oakland, un jeune vigoureux, plein de santé, qui aime se battre, prendre la mer, des cuites, des droites ou encore séduire les jeunes filles de son milieu. Pourtant un beau jour, il fait l'hasardeuse rencontre de Ruth, une jeune fille de la haute société bourgeoise du début du XXème dont il tombe instantanément amoureux. La flagrance de leurs différences sociales semble d'abord rendre cet amour impossible. Mais l'intrépide Martin se fait la promesse de s'élever, d'élever son esprit pour pénétrer son milieu et séduire la jeune femme.
Pour cela, il allait devoir apprendre : manger avec d'innombrables couverts, accompagner une fille au cinéma bras dessus-bras dessous, débattre dans les repas mondains avec des juges, des intellectuels de tout horizons. Pour acquérir ces comportements superficiels et élitistes, la lecture d'ouvrages divers lui permet d'améliorer sa grammaire, complexifier son vocabulaire, tenir des discours qui puissent avoir leur place dans les salons mondains.
Cette quête d’abord fondée sur un amour impossible va laisser place à une véritable quête de soi, à une réelle affirmation intellectuelle de notre héros. Martin, de plus en plus instruit, met ses idées sur le papier et commence, de par ses premiers écrits, à bâtir son propre système de pensée, ses idées, ses théories diverses sur l'évolution inspirées du darwinisme, sur la vie, sur le socialisme se développant à l'époque, se mettant dès lors inexorablement à l'écart des idées conformistes et figées de Ruth et de son entourage bourgeois et étriqué. C’est ainsi que le jeune marin d’Oakland devient un intellectuel, un artiste engagé voulant imposer sa vision vigoureuse du monde dans un cercle bourgeois fermé aux idées d'un putride conformisme.
En effet, ce jeune marin, ayant déjà grandement expérimenté la vie et s’étant fait sa propre opinion de l’existence avait une voix à apporter au monde : seul les mots lui manquaient pour l'exprimer. L'amour de Ruth s'est révélé être le moteur de cette volonté élévatrice.
Ce n'est pas seulement un roman d'apprentissage, ni une fable sur le travail et la volonté de réussir. Ce livre est avant tout un livre sur la beauté des idées, sur la beauté de l’audace que peut avoir un jeune homme d'un milieu modeste à désirer disserter et débattre, échanger des idées et comprendre autrui, prendre ce qui est bon chez chacun, chercher à penser, à s’efforcer d’observer et de ressentir au mieux les choses pour les retranscrire sur une feuille et apporter au monde d'autres idées, d'autres façons de penser : un témoignage supplémentaire sur ce qu'est et comment se décrit la vie.
Martin Eden c'est ce jeune marin qui, initialement animé par un désir d’élévation sociale par amour, constate l'authenticité et la profondeur originale de ses idées confrontées à l'hypocrite pédanterie d'une élite conformiste et figée, pour laquelle aucune pensée originale n'est bienvenue, aussi brillante fût-elle.
Ce roman est magnifique dans le sens où il est un hymne à l'originalité, à l'authenticité de la pensée et dénonce avec brio toute pensée classiste, forcément figée et putride, qui prétend, grâce à son bon positionnement social, être la vérité.
> Ils se figurent qu'ils pensent et ce sont ces êtres sans pensées qui s'érigent en arbitres de ceux qui pensent vraiment.