Qu'est-ce qui sous-tend notre force vitale ? D'où vient cette ardeur, ce feu sacré qui nous pousse à nous dépasser, jusqu'à littéralement nous laisser sur le bord de la route parfois ?
Souvent, c'est un idéal. Une simple image, qui germe un jour parmi d'autres et à laquelle on va s'accrocher, sans que rien n'aie pu laisser deviner en nous levant le matin, que notre vie allait être transfigurée. Pourtant, allongé dans notre lit le soir-même, en lévitation, on le sait : plus rien ne sera comme avant.
Pour Martin, c'est l'image de cette femme bourgeoise inaccessible - parce que vivant à des années lumières de son monde sauvage et primitif - blottie dans ses bras, qui va servir de catalyseur. Il va délaisser son ancienne vie comme on sort d'un rêve, et vivre une seconde naissance, confiant dans la force de sa vision.
Porté par cette promesse de bonheur, il consumera sa vie à tenter de rejoindre son étoile. Commençant par se mettre à la lecture, puis à l'écriture, avant d'engager toute sa rage dans l'aboutissement d'un rêve fou : devenir écrivain, pour éblouir l'élue de son cœur et susciter son amour. Et le meilleur, quand on brûle d'un tempérament passionné comme Martin, c'est qu'on ne connaît pas l'impossible. Qu'importe la folie, l'obstination, l'isolement : seule compte la réalisation de cette vision. Il faudra l'atteindre, ou mourrir en tentant de le faire.
Dans son esprit à lui aussi, le gouffre se creusait, pas aussi vite cependant, que ne croissait son rêve de le franchir.
Le drame de l'espoir, c'est qu'il est à double tranchant : sa force d'élévation est à la hauteur de la chute à venir. Et pour ne pas verser dans le désespoir et sentir nos forces nous abandonner, on s'accroche à des chimères, on négocie avec la réalité, on demande un sursis. Jusqu'à ce que face à l'inéluctable, le ressort de l'enthousiasme se brise. Trop tard, Martin comprend que le plus beau n'était pas l'arrivée, mais le cheminement, aussi ardu soit-il. C'était l'espoir du bonheur, qui contenait en lui-même toute la vie. Pourtant, son ami Brissenden (personnage le plus inspirant !) l'avait prévenu :
Ce n'est pas dans ce qu'on réussit à faire que réside la joie, mais dans l'effort qu'on y consacre. (...) Que la Beauté soit votre seule fin.
Mais Martin, jeune et idéaliste, croit en l'amour et lui rétorque que la beauté n'est que la servante de celui-ci. Et cet élan, qui le poussait vers l'avant trop vite, trop fort, le laisse au final devant un vide sidéral, exsangue. Ne reste plus alors qu'à entrer dans la mort, les ténèbres, avec (par cohérence envers lui-même) la même audace et la même fureur. Sans crainte.
Un livre aussi vaste que l'horizon du grand large, qui permettra une multitude de lectures possibles. Navigant entre les thématiques de l'écriture, de la réalisation et la perte de soi, la philosophie, la politique... Je retiendrai son intensité rare, sa fougue et sa rage primitive, aussi bien dans la pulsion de vie que dans la pulsion de mort.
Il avait attelé sa cariole à une étoile, et il se retrouvait échoué dans un marais pestilentiel.
Reste à bien choisir ses étoiles.