" Malgré toute l'animosité que j'ai pour mes semblables, je cherche quand même à leur être utile ! "

Bonjour à tous,

Aujourd' hui, je m' attaque à ce pamphlet de Céline. Il me tient à coeur, car on en parle, très peu....

Révolutionnaire stylistique, Céline a marqué de sa détresse le siècle. Ecrivain maudit, pour ceux qui l’ont lu indécrottable Génie, les autres s’époumoneront en le traitant d’incarnation du Mal… Les qualificatifs pullulent et perdurent. L’art de Céline est incontestablement robuste et fort. Il est pourtant tissé de finesse et de légèreté, voire de préciosité… Son angoisse existentielle est un furieux rappel à l’ordre. son désespoir est sa charité, sa pitié accusatrice.

Céline n’est jamais tout à fait « de droite », ni « de gauche ». Jamais tout à fait « fasciste », ni complètement « anarchiste ». Le projet littéraire célinien est une révolte individuelle perdue d’avance. Un cri d’autant plus déchirant qu’il est conscient de sa propre fin. L’acte d’un forcené assiégé qui refuse de se rendre.

1936 est une année charnière dans le parcours de Céline. Mort à crédit, son second roman, est paru en début d'année, et contrairement à Voyage, la plupart des critiques l'éreintent pour des raisons que Céline ne comprend pas (près de 80 ans plus tard, on peut du reste toujours s'en étonner). Animé d'un esprit revanchard, Céline délaisse pour de nombreuses années le roman, pour se consacrer à un nouveau genre, moins contraignant, plus instantané, et, aussi, plus engagé : le pamphlet. Mea culpa sera le premier d'une série de quatre qui bouleverseront sans doute à jamais la perception de l’œuvre de l'écrivain.

Nettement moins controversé que les trois pamphlets suivants, Mea culpa s'en prend au mirage communiste avec l'extraordinaire violence qu'on connait à Céline ; cette brutalité lucide, mêlée d'ironie, d'absurde, de drôlerie. De son séjour à Leningrad trois mois plus tôt, l'écrivain n'a retenu que les horreurs du système communiste, et il en identifie très clairement l'origine : l'homme et son ignominie congénitale.

Bien loin de l'angélisme prolétaire qui a nourri nombre d'esprits idéalistes de son temps (même si, à l'image de Gide quelques mois plus tôt, certains sympathisants d'hier commençaient déjà à déchanter), Céline pilonne la nouvelle caste dominante de Russie, à sa manière habituelle : aucune place n'est laissée à la mesure, l'écrivain rend l'ordure au centuple. Il prend du reste sa cible à partie dès les premières lignes, avec le mépris qui est dû à sa duplicité :

« Ce qui séduit dans le Communisme, l'immense avantage à vrai dire, c'est qu'il va nous démasquer l'Homme, enfin ! Le débarrasser des "excuses". Voici des siècles qu'il nous berne, lui, ses instincts, ses souffrances, ses mirifiques intentions... Qu'il nous rend rêveur à plaisir... Impossible de savoir, ce cave, à quel point il peut nous mentir !... C'est le grand mystère. Il reste toujours bien en quart, soigneusement planqué, derrière son grand alibi. "L'exploitation par le plus fort." C'est irréfutable comme condé... Martyr de l'abhorré système ! C'est un Jésus véritable !...
" Je suis ! comme tu es ! il est ! nous sommes exploités !"
Ça va finir l'imposture ! En l'air l'abomination ! Brise tes chaînes, Popu ! Redresse-toi, Dandin !... Ça peut pas durer toujours ! Qu'on te voye enfin ! Ta bonne mine ! Qu'on t'admire ! Qu'on t'examine ! de fond en comble !... Qu'on te découvre ta poésie, qu'on puisse enfin à loisir t'aimer pour toi-même ! Tant mieux, nom de Dieu ! Tant mieux ! Le plus tôt sera le mieux ! (...) »

Ainsi commence la traque contre les illusions d'un système dont l'usage a plutôt donné raison à Céline....


Le discours développé par Céline dans Mea Culpa vise à déstructurer le système communiste qui, selon l'écrivain, accentue les inégalités plutôt qu'il ne les supprime. Le système politique russe, en tentant de persuader le peuple que les injustices ont disparu, en promettant la répartition systématique des richesses, n'ose pas avouer, comme cela est le cas pour les systèmes capitalistes, la réalité de l'ordre social et l'inévitable maintien de catégories privilégiées :

" Mineur ! la mine est à toi ! Descends ! Tu ne feras plus jamais grève ! Tu ne te plaindras plus jamais! Si tu gagnes que 15 francs par jour ce seront tes 15 francs à toi ! "

Dès lors, les inégalités existent et perdurent, doublées d'un mensonge fait au peuple, opprimé et silencieux. L'enrichissement des puissants est inévitable et la population en subit les conséquences, puisque l'on tente de la persuader du contraire :

" On le fait crever [le peuple] par la misère, par son amour-propre aussi ! Vanité d'abord ! La prétention tue comme le reste ! Mieux que le reste ! "

Céline s'incrit délibérément en-dehors des discours intellectuels de l'époque, s'affiche pour la première fois comme un écrivain prenant la plume pour le développement exclusif d'un sujet politique. Il poursuivra par la suite l'écriture pamphlétaire, avec les conséquences que l'on sait....

Pour Céline, toute forme d’optimisme est une imposture : on ne se débarrassera jamais des égoïsmes, et par conséquent le sort des hommes ne s’améliorera jamais. Dans ce court pamphlet, l’auteur exprime d’abord son dégoût du capitalisme et des bourgeois, avant de s’en prendre au communisme, qui ne serait rien d’autre que « l’injustice rambinée sous un nouveau blase ». Le texte est suivi de sa thèse de médecine consacrée à Semmelweis.

Mea culpa est une charge d’une rare violence contre le système soviétique. Tout y passe. Sous la plume de Céline, il n’y a rien à sauver du régime des soviets. Avec ce texte, Céline rejoint la longue cohorte d’écrivains anticommunistes ; en plein Front populaire, il fallait une certaine dose de courage (ou d’inconscience c’est selon…) pour le faire. La publication de Mea culpa lève aussi une ambiguïté. Depuis la publication de Voyage au bout de la nuit, une grande partie de l’intelligentsia, Louis Aragon et Elsa Triolet en tête, considérait Céline comme un écrivain « prolétaire ». Trotski lui-même n’avait-il pas couvert Voyage au bout de la nuit d’éloge ? En publiant Mea culpa, Céline lève l’ambiguïté. Non il n’est pas communiste et affirme haut et fort sa liberté vis-à-vis des organisations politiques. Certains ne lui pardonneront jamais.

À peine mis en place, le livre est un succès de librairie. Cette réussite commerciale encourage Céline à persévérer dans cette voie....

Lisez plutôt :
Pages 22, 23. " Même l'exploité 600 pour 100, il a gardé ses distractions !... Comme il aime jaillir du boulot dans un smoking tout neuf (location), jouer les millionnaires whisky ! Se régaler de cinéma ! Il est bourgeois jusqu'aux fibres ! Il a le goût des fausses valeurs. Il est singe. Il est corrompu... Il est fainéant d'âme... Il n'aime que ce qui coûte cher ! ou à défaut, ce qui lui semble tel ! Il vénère la force. Il méprise le faible. Il est crâneur, il est vain ! Il soutient toujours le « faisan ». Visuel avant tout, faut que ça se voye ! Il va au néon comme la mouche. Il y peut rien. Il est clinquant. Il s'arrête tout juste à côté de ce qui pourrait le rendre heureux, l'adoucir. Il souffre, se mutile, saigne, crève et n'apprend rien. Le sens organique lui manque. Il s'en détourne, il le redoute, il rend la vie de plus en plus âpre. Il se précipite vers la mort à grands coups de matière, jamais assez... Le plus rusé, le plus cruel, celui qui gagne à ce jeu, ne possède en définitive que plus d'armes en main, pour tuer encore davantage, et se tuer. Ainsi sans limite, sans fin, les jeux sont faits !... C'est joué ! C'est gagné !... "

Ou encore :

Page 25. [Voici maintenant l'une des phrases-clés de Céline, celle que j'ai prise comme idée directrice de ma morale et politique.]
" Un aveu pas possible, une pilule qu'est pas avalable : que l'Homme est la pire des engeances !... qu'il fabrique lui-même sa torture dans n'importe quelles conditions, comme la vérole son tabès... C'est ça la vraie mécanique, la profondeur du système !... Il faudrait buter les flatteurs, c'est ça le grand opium du peuple. [...] On cesse d'être si profond fumier que sur le coup d'une catastrophe. [C'est vrai : l'homme qui souffre redevient humain et estimable.] Quand tout se tasse à peu près, le naturel reprend le galop. Pour ça même, une Révolution faut la juger vingt ans plus tard. « Je suis ! tu es ! nous sommes des ravageurs, des fourbes, des salopes ! » Jamais on dira ces choses-là. Jamais ! Jamais ! Pourtant la vraie Révolution ça serait bien celle des Aveux, la grande purification ! "

Céline est un pur génie. Selon moi, On doit comprendre sa vision du monde. Et, soit, on le prend entièrement. Soit, on le rejette. Mais, les sophismes, c' est trop facile.... Moi, j' admire Céline, pour sa vision si juste de l' humanité. Et, selon moi, ce n' est pas Dr Jekyll, un jour, et Mr Hyde, l' autre jour. C' est totalement absurde !

Lisez Céline, et ses pamphlets. Il le mérite. C' est du Céline, pur jus. " Quand la haine des hommes ne comporte aucun risque, leur bêtise est vite convaincue, les motifs viennent tout seuls. ". Et ça, c' est tiré du " Voyage au bout de la nuit ". Voyez sa cohérence. Lisez le, donc. Portez vous bien. Tcho. Lisez. La lecture est la santé de l' intelligence, et de l' âme. @ +.
ClementLeroy
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le 12 mars 2015

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San  Bardamu

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