Médée - Euripide
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Voilà donc la tragédie qui fait de Médée l’Infanticide. Créon lui fait à peine obstacle, la nourrice et le gouverneur sont évidemment très domestiques, et un Jason enflé traîne sa misogynie basse du front et sa lâcheté velléitaire jusqu’au meurtre des enfants : presque dépourvue de lustre tragique, mais toujours plus fougueuse que son entourage, cette héroïne-là a de quoi maudire autrui au moins autant qu’elle est maudite. Médée est sensible au ridicule ; elle est intelligente, le sait, mais s’en défend : non seulement exilée, mais surtout entourée de médiocres qui se moquent d’elle alors que sa situation ne prête pas à rire, il ne lui reste pour être reconnue que l’ironie, que personne sur scène ne comprend, et l’abjection ; il y a dans la Médée d’Euripide comme les soubresauts de la tragédie plongée dans un monde de comédie (1).
Le texte d’Euripide ne corrobore pas l’image qu’on se fait parfois d’une Médée hystérique, incapable de maîtriser ses nerfs (pour les plus indulgents), sa ménopause (pour les plus malotrus) ou sa libido (pour les plus cons, dont Jason). Écrasée par la douleur de la rupture avant même d’entrer en scène, elle se révèle manipulatrice dès le départ de Créon, d’où la question qui courra par la suite et qui remet perpétuellement tout en cause : ment-elle tout le temps ?
Que le chœur soit constitué de femmes (donc a priori solidaires de l’épouse délaissée) corinthiennes (donc a priori hostiles à l’étrangère) n’arrange rien à l’affaire : ce chœur fait finalement songer aux suivantes des tragédies classiques, qui prient leurs maîtresses de modérer leurs transports tout en leur donnant raison. D’où la richesse du personnage : à partir du moment où sa folie n’est pas aveugle, dans quelle mesure est-ce de la folie ? C’est en tout cas une folie qui s’accommode d’arguments, dont celui selon lequel il vaut mieux que les enfants soient tués par quelqu’un qui les aime n’est pas le moins problématique…
Ce qui manque à la tragédie d’Euripide, c’est que tout n’y est pas si complexe, donc pas si riche. Les personnages secondaires y sont… secondaires, même Jason. Médée ne rencontre guère de difficultés pour accomplir sa vengeance alors même que tout Corinthe est censé se méfier de la magicienne barbare (2). Et puis le thème récurrent de la féminité – j’ai toujours du mal à concevoir Médée comme une héroïne féministe… – finit par lasser.
(1) La mise en scène de Jacques Lassalle à Avignon, en plus de présenter comme celle de Laurent Fréchuret une traduction prosaïque et sobre, laisse de la place au rire, rendant la situation de la magicienne d’autant moins supportable : ces éclats sonnent faux, confortant le spectateur autant que l’héroïne dans l’idée qu’il faut résoudre la crise au plus vite, coûte que coûte.
(2) Les deux mises en scène modernes que j’ai vues tentent de rajouter de la complexité, parfois constituée de trouvailles qui font mouche : celle de Jacques Lassalle avec Isabelle Huppert est plus fidèle à Euripide que celle de Laurent Fréchuret avec Catherine Germain, mais aucune ne parvient à maintenir une tension constante.
Créée
le 9 févr. 2020
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