C’est une opération bien compliquée de réveiller des mythes monstrueux de leur sclérose scolaire. Or ici on atteint enfin le choc de passion, de terreur et de stupéfaction censé être suscité par la tragédie.
On oublie tout et on se laisse absorber par cette trame où Médée plus négresse que Colchidienne, plus mortelle que fille d’un Dieu, où Jason plus frivole et faillible qu’héroïque, jouent la partition de la fatalité tant redoutée. Après avoir permis à Jason d’obtenir la jeunesse éternelle contre la sienne propre, Médée, vieillie, amoureuse, délaissée sentimentalement et sexuellement, prépare son étrange revanche en forme de sacrifices humains.
La trame est peut-être antique, familière, mais Hans Henny Jahnn arrive cependant par sa langue lyrique, par les caractères qu’il forge pour ses personnages à nous faire envisager tout un corpus de passion : le racisme, la jeunesse et la libido, la jalousie, le sexe et la mort, la fratrie, et le sacrifice, tout cela au cœur des années 1930, où la pièce a été écrite et mise en scène.
Au ciel des tragédies intemporelles contemporaines, la « Médée » de Hans Henny Jahnn a sa place, avec la « Phèdre » de Marina Tsvétaéva. C’est Senscritchaiev (qu’il soit ici remercié) qui m’avait conseillé après la lecture de celle-là, de m’attaquer à celle-ci. Et il est vrai que nous sommes là en présence de deux comètes théâtrales, ni classique, ni romantique, et pourtant portées par cette double paire d’ailes.
Chez Jahnn comme chez Tsvétaeva, non seulement la langue est bouleversée et sublimée, mais tout un ensemble d’inflexion dans la composition du dramatis personae est présent : Tsvétaeva rejouait un tout nouveau rôle pour la nourrice, adjuvante de Phèdre, ici Jahnn travaille la fratrie des fils de Jason et Médée, agneaux toujours oubliés, ici portés à l’incandescence.
Il faut se mettre à lire Jahnn, et "Médée" est une belle ouverture.