Incontournable Août 2022


Ce roman intermédiaire de la collection Gulliver, aux éditions Québec Amérique, fait suite à "Mélie sous sa bonne étoile" de la même autrice, mais il n'est pas nécessaire d'avoir lu le premier pour apprécier le second.


Mélie est une jeune fille vivant avec sa mère comme seul parent depuis longtemps. Son père n'était pas du genre à se taire, ce qui, on le devine, leur a causer des soucis. Néanmoins, ce père sort est en route pour le Québec, il va réintégrer la vie familiale. Cela ne se fera pas sans heurts, car l'homme ne parle pas français, ce qui complique sa communication avec sa fille. de plus, il est en proie à une peur, du genre à lui faire craindre de quitter leur appartement. Il ne sort que de nuit et accompagnée de Sofia, la mère de Mélie. Mélie n'est pas sure des sentiments qu'elle éprouve pour ce père qui fut longtemps absent, mais les premiers pas sont difficiles à faire. Quand elle rencontre par hasard Monsieur Xavier, son ancien professeur, elle découvre que son conjoint et lui sont devenus les papas d'une petite fille, Mei-Li. Entre son nouveau rôle de gardienne pour la petite fille qui a le même prénom et ce père qui ne se laisse pas facilement approcher, Mélie nous raconte avec sincérité à quel point les gens qui nous tiennent à cœur sont aussi ceux qui nous demandent le plus d'authenticité et surtout, de temps.


Une histoire sur l'apprivoisement, en somme! Je n'ose pas imaginer comme ce doit être confrontant et inconfortable de se retrouver du jour au lendemain avec un étranger chez soi, tout papa que ce soit. Dans le contexte, Sofia n'a pas beaucoup parlé de ce papa à sa fille, ni même désirer lui apprendre sa langue. du coup, Mélie n'a presque rien qui la relie à son père, au delà du strict lien filial. Et comme dans nos sociétés nous valorisons ce lien entre un père et son enfant, il peut paraitre logique de l'aimer sans conditions, simplement par le fait que ce soit un géniteur. Néanmoins, "être parent" et être géniteur sont deux choses. Pour qu'il y ait amour inconditionnel, à tout le moins, il doit y avoir un attachement affectif. Ce qui, dans le cas de Mélie, est inexistant. Entre ce qu'elle "souhaite" et ce qu'elle pense devoir ressentir pour ce papa, la marge est large. Elle pense devoir l'aimer tout-de-suite, mais dans les faits, et il est dur de lui en vouloir, elle ne ressent presque rien. Lorsqu'elle offre une carte pour la fête des pères, celui-ci lit un message du genre: Tu es le meilleur papa du monde, je t'aime. Et le papa de la traiter de "menteuse" ( Mélie demandera à une amie de traduire le mot en question). Ce passage marque bien que ni l'un ni l'autre n'est dupe au sujet de leurs émotions, mais les conventions sociales marquent le pas: On aime son papa, peut importe les circonstances. Mélie est bien sur blessée par ce mot, mais je me demande si c'est plutôt parce qu'il a vu juste? Il faudra donc partir de zéro, y aller à coup de petites victoires, d'abord avec les mots, puis avec les gestes. Il faudra du temps, BEAUCOUP de temps.


Entre les lignes, on comprend que le père a subit une expérience traumatisante. On peut deviner qu'il vient d'un pays qui ne tolère sans doute pas la libre expression ( ou quelque chose du genre) qui l'a mené à l'emprisonnement. On peut imaginer que cela ne furent pas des années heureuses. C'est son comportement méfiant, craintif et même parfois proche de la panique qui laisse croire tout cela, mais rien n'est écrit à ce sujet. Mais il est pertinent de voir ce genre de personnage, de manière à illustrer que certains adultes venus de l'étranger peuvent arriver avec un bagage bien lourd à porter, au sens figuré. C'est donc aussi lourd pour ceux qui accueillent ces personnes. Il y aura beaucoup d'adaptation à faire, d'un côté comme de l'autre. Mélie nous en parle beaucoup, de son "cocon" qui n'est plus aussi douillet, de cette personne qu'elle ne connait pas et qui demande beaucoup d'énergie de la part de sa mère, ce qui leur laisse moins de temps pour elles.
Il faut dire qu'entre-temps, Mélie observe un écho de sa situation ailleurs: Luc et Xavier sont devenus papas d'une petite fille. Xavier en particulier semble avoir du mal, on sent qu'il se sent maladroit et doute de ses compétences parentales. Il pense que son conjoint "a plus la twist" avec bébé Mei-Li. Bref, l'apprivoisement se fait différemment entre les deux hommes, mais Xavier semble plus anxieux à ce sujet. Je dois dire que j'aime le parallèle entre les deux situations. Accueillir une nouvelle personne dans sa vie, surtout un membre de la famille, c'est tout un engagement! On veut que ça réussisse, on veut faire au mieux, et bien souvent on doute. Ce qui est normal, après tout, il s'agit d'un processus, pas d'une ligne droite. Ce que nous voyons bien dans l'histoire est le fait que c'est le temps, le meilleur allié, donner le temps à ses émotions, donner le temps de se côtoyer et de bâtir la confiance. L'écoute est importante, bien entendu. Avoir un support social également. J'ai particulièrement trouvé beau le passage quand Mélie a cherché une solution à la barrière de la langue. Ce n'est pas anodin comme action, car au-delà du fait de chercher à communiquer, elle s'est aussi mise a chercher un moyen de faire que sa relation avec son père avance, progresse. Aussi, Mélie emploie une qualité fondamentale en relation sociale: l'empathie, la capacité à se mettre à la place de l'autre. Bref, tout ça pour dire que je trouve cet "apprivoisement" touchant et réalistement malhabile. Soyons francs, apprivoiser, ce n'est pas facile! Surtout que Sami, le papa, n'est pas facile d'approche.


Il est aussi bon de montrer que les adultes aussi, ont leur vulnérabilités et leurs défis. Bien sur, ce doit être confrontant pour les plus jeunes, car leurs parents sont aussi leur piliers. Néanmoins, ça arrive que les parents connaissent des moments difficiles et ils ne sont pas indignes de leur rôle de parent pour autant. D'ailleurs, et bravo à lui, Sami fini par accepter de voir un psychologue pour surmonter sa peur tenace de sortir dehors ( et, pourquoi pas, de parler des sujets pénibles en lien avec son incarcération?). Admettre qu'on a un problème est une étape difficile, mais c'est LA première étape sur la voie de la guérison.


Enfin, je mentionne que le titre évoque bien le ressenti du personnage. Mélie a l'impression que sa place est floue, compromise ou pas clairement définie. Un peu comme ses sentiments à l'endroit de son père, sans doute eux aussi "quelque part au milieu". Il ne faut jamais banaliser le vécu émotionnel des plus jeunes, précisément parce que leurs expériences avec les émotions sont moindres et les mots pour les définir pas encore apprises. Et ils les vivent avec la même intensité que les adultes. C'est la seule chose que je me suis trouvée à lui souhaiter plus à ce personnage, une oreille attentive et une mains réconfortante. Je pense qu'en cela, les deux papas de Mei-Li ont eu leur part à jouer.


Ce qui est étonnant aussi, c'est qu'encore une fois, nul besoin de grands philosophes grecs pour cogiter sur des sujets profonds. Ici, on a un roman jeunesse intermédiaire, peut compliqué, dans ses mots simples, car c'est dans la perspective d'une enfant d'âge primaire.


J'ai donc bien aimé ma lecture, qui traite à la fois de la famille reconstituée ( ou plutôt "réorganisée") , de l'adoption, du rôle de parent, des sentiments parfois complexes, qui n'ont pas de nom et peu de référents, ainsi que cette merveilleuse qualité du règne animal qu'est l'apprivoisement. Une histoire douce, mais franche, qui parle autant aux enfants qu'aux adultes.


Pour un lectorat du second cycle primaire, 8-9 ans, en montant ( et pourquoi vous, qui me lisez?).

Shaynning

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