Quatre cent soixante pages, dont à peine moins de quatre cents me furent pénibles. Mais je suis arrivé au bout, je peux souffler et me dire que ça va, tout va bien, c'est fini, chhhht.
Avec Même pas mort, Jaworski sombre dans un travers qu'on aurait pu pressentir, mais qu'il était parvenu jusque là à masquer, ou plutôt à user à son avantage. L'écrivain possède un lexique phénoménal - c'est à peine s'il ne nous apprend pas de nouveaux mots à chaque page - et une plume qui met en valeur cette qualité. C'est pour cela que je l'ai adoré dans Janua Vera, Gagner la Guerre et à peine moins dans Le Sentiment du Fer. Cette maestria ne fonctionne pas si bien ici, du fait du parti qu'il adopte dans sa trilogie celtique.
Le pitch était pourtant bon, empruntant le haut-roi biturige (étymologiquement... "rois du monde") Ambigat et ses neveux Bellovèse et Ségovèse à une légende peu développée, seulement connue grâce à un extrait de Tite-Live, campant une France morcelée entre royaumes celtes rivaux, et déployant de ces prémisses un grand et beau récit saupoudré des créatures surnaturelles de nos fiers ancêtres. Cette base-là avait tout pour me plaire, mais ce premier tome s'étale dans sa vacuité comme un cochon dans sa fange. Ça me fait aussi mal de l'écrire que j'en ai eu à le lire.
Bellovèse, que l'on découvre à l'aube de son crépuscule, deux siècles à ses trousses, haut-roi à l'autorité visiblement absolue, narre sa vie à un auditeur peu identifié. Ce sera donc nous. Bellovèse radote comme un grand-père qu'on écouterait parce qu'il a des choses intéressantes à dire - après tout, il a vécu en d'autres temps, avec d'autres moeurs -, mais qui se perd dans un foisonnement luxuriant de détails tel qu'on finit par ne plus prêter qu'une attention diffuse à un récit qui peine à mettre en valeur les passages moins banals. Comme dans l'histoire du grand-père, rien n'avance, tout est lent, et les passages que notre héros choisit de narrer sur des pages et des pages et des pages et des pages sont parfois d'un attrait foutrement restreint. A tel point que pour avoir un passage qui me tienne en haleine sur plus de deux pages d'affilée, il a fallu attendre les trente dernières. Non, j'exagère un peu : cent pages avant, il y a quelque chose de chouette, mais fracassé sans état d'âme sur un "ce n'était qu'un rêve" (certes, j'ai bien compris qu'il y avait un peu plus que ça, mais j'ai bien trop halluciné en le découvrant pour le laisser passer sans broncher).
Quand il ne raconte pas simplement rien, Bellovèse soulève des mystères, n'y répond pas, puis repart dans l'accessoire. On finira par avoir quelques clés, bien trop pauvres au vu du vide qu'on a lu, en arrivant au bout. J'ai dit qu'on avait les clés, pas encore de portes où les glisser.
Jaworski bâtit donc sa cathédrale sur à peine plus que du néant. On sent bien qu'il pourrait encore noircir deux cents pages de la même façon, et c'est sans doute passablement impressionnant vu la qualité du style. Néanmoins, un tel style qui se construit sur du vide se révèle lourd et fat.
Il y a donc peu de risques que je poursuive la trilogie. On ne peut pas réussir à tous les coups.