Alliant l'ironie d'Octave Mirbeau et la verve de Jules Renard - auquel ce roman est d'ailleurs dédié dans un avant-propos panégyrique -, Tristan Bernard, lui-même célèbre pour ses mots d'esprit, s'en donne à cœur joie en bousculant son "héros", Daniel, vingt ans, toutes ses dents, prétendant dandy, pour le plus grand bonheur du lecteur et de ses muscles zygomatiques.
Toute fin du XIXème siècle, Daniel, oisif qui ne s'offre pas même le luxe d'être un distingué dilettante, s'apprête à franchir le seuil du nouveau siècle... en ne faisant rien. Son existence se déroule mollement du Moulin Rouge au lit des demi-mondaines, des cafés chics aux stylées villas de villégiature. Foncièrement fainéant, superficiel et médiocre, d'une naïveté qui frise l'idiotie, Daniel est un modèle d'égoïsme. Le prix des choses ? Aucune idée. Les sentiments des autres ? Aucune importance. Mais aussi vrai que son existence est vide, il est avéré que la nature a horreur du vide et Daniel se met donc en quête d'une compagne : Monsieur veut se marier. La blonde Berthe, archétype de la jeune fille accomplie, fera bien l'affaire, aussi entreprend-il sa conquête, entre calculs maladroits et initiatives hasardeuses...
En découvrant la plume superbe de Tristan Bernard, je ne m'étonne plus qu'il ait été aussi ami avec Jules Renard, cet autre grand auteur facétieux. Il voue autant d'affection que de mépris à son protagoniste et son humour tout en finesse fait mouche à chaque phrase. A travers ce roman d'apprentissage aussi joyeux qu'instructif, Tristan Bernard nous immerge dans l'atmosphère de la Belle-Epoque avec réalisme mais surtout avec une légèreté qu'on aimerait trouver chez Proust pour le rendre plus digeste.