Au commencement était le Verbe. Au commencement étaient les Mots.
Mais certains Mots n'avaient pas de sens puisque personne ne s'en servait jamais. Depuis qu'ils avaient quitté le cerveau poussiéreux de leurs géniteurs, ces Mots s'étaient installés sagement dans un confortable oubli Noir et Blanc.
Ils étaient devenus l'Absolue Rientitude. Leur existence semblait n'avoir ni commencement ni fin. Ils flottaient béatement dans une Obscurité à deux dimensions, leurs petites lettres bien ordonnées par la force de l'habitude. Réaction instinctive qui avait remplacé depuis longtemps leurs aspirations de jeunes Premiers et l'espoir d'être un jour Utilisés.
Mais aussi vrai qu'un battement d'ailes de papillon à Tokyo peut provoquer un ouragan à Los Angeles, il suffît d'un petit incident pour que la Vie de Mots bascule. Un jour leur carcan de papier s'ouvrît.
Les Mots perdus ne comprirent pas tout de suite que c'était Eux que l'on venait chercher. Ils s'étaient habitués à voir leur Horizon s'élargir brusquement, à être survolés par un regard inquisiteur qui les dépassait sans les lire avant de se poser sur un de leurs homologues édulcorés.
Pas le temps de réagir que les grands yeux noisette les avaient déjà absorbés, digérés et régurgités sur une feuille immaculée. Bientôt, d'autres feuilles vinrent les rejoindre. Et encore d'autres. Et d'autres encore.
De paragraphes en sauts de pages, ces Mots dont personne ne s'était jamais servi, formèrent bientôt une famille. Eructés par des presses à grand débit, vomis par des camions sur des étals sur éclairés, ils connurent bientôt un succès international.
Sur toutes les bouches couraient les mêmes phrases : « Très chère, avez vous lu le dernier Nothomb ? » « Oh oui, il est géniâââl ! » « Sensationnel ! » « Exceptionnel ! » « Magnifique ! » « Pléonastique ! »
Pléonastique ?!
Et oui, que voulez-vous, le fabuleux destin de cette Amélie là, est loin de déclencher en moi des velléités apologétiques (Entendez par là : me donner une envie irrésistible de me faire tatouer sur l'épaule « I Love Amélie The Tube »).
L'idée de départ était sympathique : une autobiographie de 0 à 3 ans de notre chère Amélie. Mais hélas, une idée ne fait pas un livre. Et Amélie Nothomb a l'horripilante habitude de faire traîner ses idées au delà du supportable.
Son œuvre ressemble à un encéphalogramme comateux : quelques pics de génie, des idées lumineuses, des tournures somptueuses, qui retombent aussi vite qu'elles étaient apparues, noyées sous des redondances abrutissantes.
Je reconnais bien volontiers que la première partie est une réussite, pleine d'humour et d'autodérision. 25 pages à la troisième personne du singulier nous racontent l'état végétatif de ce bébé apathique qui se prend pour Dieu.
Mais, las, ces 25 pages se lisent bien vite. Et dès lors qu'une rencontre fortuite avec le chocolat (et accessoirement sa grand-mère) ait fait passer la petite Amélie du « Il » au « Je », le roman/essai/nouvelle* (*rayer la mention inutile) perd à mes yeux toute saveur. La suite des pérégrinations japonaises d'Amélie, patchwork de morceaux choisis d'intérêts très inégaux, m'a au mieux fait sourire, au plus souvent fait bailler.
Comme dans « Stupeur et Tremblements », Amélie Nothomb nous balade entre fiction et réalité, sans que l'on sache vraiment où se situe la limite. Satirique, incisive, elle nous révèle par petites touches des aspects méconnus de la société japonaise : j'aime. Mais lorsque pour la énième fois elle s'attarde sur le même épisode (exp. : le principe de non-intervention des japonais), martelant de mille et une façons la même rengaine, là, j'aime beaucoup moins !
Mademoiselle Nothomb joue les prolongations. « Métaphysique des tubes » semble avoir été craché d'une seule traite, sans anticipation, ni relecture. Les épisodes relatés font figure d'heureux gagnants de la loterie Nothombienne et s'enchaînent sans véritable cohérence, à l'exception de quelques thèmes récurrents (la moitié d'entre eux, à mes yeux, ne méritaient pas cette insigne faveur).
Mais parlons un peu du style.
Ah, le style d'Amélie Nothomb !
Ma petite histoire introductive avait pour but d'illustrer ce que je pense de cet écrivain. Pour moi, Amélie Nothomb se masturbe tous les soirs devant son dictionnaire. Elle trouve ça à ce point orgasmique qu'elle nous éclabousse toutes les 10 phrases du fruit de ses péchés. « Pléonastique », par exemple, a dû tellement la faire grimper au rideau qu'elle a trouvé l'occasion de nous le caser deux fois en 150 pages.
Quand il ne s'agit pas de nous étourdir sous une plume alambiquée, Amélie s'amuse à empiler les métaphores, à détourner des expressions (moi aussi j'aimerais « avoir la Mort sauve »), voire tout cela à la fois. De belles réussites parfois, mais plusieurs « flop » qui alourdissent le récit.
D'autant plus qu'Amélie Nothomb surfe sur les contradictions. Elle passe du vocabulaire le plus recherché aux mots les plus populaires (« dégueulasse », « mets-y la gomme », « leur gueule lippue me roulait des pelles »...). Elle enchaîne les phrases sans soucis de transition, courtes ou longues suivant ses envies.
D'ailleurs, elle ne s'embarrasse pas de scrupules pour terminer son œuvre. En panne d'inspiration pour poursuivre cette saga autobiographique, elle conclut sans ambages : « Ensuite, il ne s'est plus rien passé. »
Ouf !