Retour de lecture sur “Mille petits riens” de la romancière américaine Jodi Picoult publié en 2018. Inspiré d’une histoire vraie, ce livre raconte l'histoire de Ruth, une sage-femme qui a vingt ans d’expérience, est reconnue et appréciée par ses collègues, et elève seule son enfant adolescent, depuis la mort en Afghanistan de son mari. Seule sage-femme noire de son service, elle est accusée à tort de négligences, après la mort du nouveau-né d’un jeune couple, Turk et Brittany, des suprémacistes blancs très engagés. Lors de son procès sa défense sera prise en charge par Kennedy, une avocate de la défense publique donc commis d’office, blanche. Celle-ci, à l'abri du besoin, mariée à un médecin, a renoncé à un salaire important pour défendre les plus démunis. Avec cette accusation qui semble basée exclusivement sur le racisme des parents, elle pense qu’elle tient peut-être là sa première grande affaire. Ce livre est une réflexion intéressante sur le racisme, car au-delà de celui pleinement assumé des suprémacistes blancs qu’il dénonce évidemment, c’est également, à travers le personnage de Kennedy, le racisme inconscient du lecteur qu’il met en lumière. Il nous confronte à notre propre position par rapport à celui-ci et pose la question, si le fait d'affirmer, en tant que blancs, que nous ne sommes pas racistes, n'est pas déjà une forme de racisme. Un livre très instructif puisqu’il nous montre toute la complexité de cette notion. C’est un roman choral à trois voix, raconté par Ruth, Turk et Kennedy qui sont trois personnages aux points de vue très opposés. Certaines mêmes scènes sont souvent racontées successivement par deux personnages différents. Ce découpage est particulièrement efficace pour poser la démonstration de l’auteure, il permet de développer parfaitement les pensées de chacun, leur psychologie complexe et leur approche de la problématique du racisme. Il y a beaucoup d'humanité dans ce roman à travers ses personnages qui sont souvent très dignes et attachants. Les portraits sont tous parfaitement dessinés et cohérents ce qui rend cette histoire très crédible. Une mention spéciale pour le personnage de Kurt avec sa mentalité abjecte et sa croix gammée tatouée sur le crâne. Picoult à travers les 600 pages de son roman a également pris tout son temps pour exposer le contexte social, pour expliquer en détails le parcours de chacun des protagonistes, ainsi que tous les points juridiques qui nous permettent de comprendre parfaitement les différents aspects de l’affaire et de nous plonger dans cette histoire. Celle-ci se passe en Amérique, avec évidemment les problématiques spécifiques de ce pays par rapport aux discriminations raciales et la défense des droits des noirs à travers ses mouvements comme “black lives matter”, mais l’approche restant très centrée sur les individus, elle garde une certaine universalité. Un livre imposant qui pourtant se lit très facilement. Parfaitement structuré, il est très bien écrit, avec beaucoup de sensibilité et de délicatesse. Même s’il n’y a pas forcément beaucoup de rythme, on est captivé par ce récit qui reste très agréable à lire. Le livre aurait pu être plus court notamment sur sa deuxième partie et lors du procès qui suit un déroulement très classique, mais c'est suffisamment bien écrit pour que l’on ne s’ennuie jamais vraiment. C’est donc au final un livre très bien maîtrisé, avec une approche originale du sujet complexe du racisme. Un livre qui, tout en nous distrayant, a pour ambition de nous faire réfléchir sur le sujet et qui y parvient parfaitement. C’est un moment de lecture très sympathique, intéressant, avec ce livre dont je conseille fortement la lecture.
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“Quand je raconte cette histoire, tout le monde pense que la naissance du bébé est le miracle auquel je fais allusion en cette lointaine journée de blizzard. C'était époustouflant, certes. Mais j'ai assisté ce jour-là à une chose encore plus merveilleuse. Pendant que Christina me tenait la main et que Mme Mina serrait celle de maman, il y a eu un moment – un souffle, un battement de cœur – où toutes les différences d'éducation, de niveau social et de couleur de peau se sont évaporées, tels des mirages dans le désert. Un moment où nous étions tous égaux et où il n'y avait plus qu'une femme qui en aidait une autre.
Ce miracle-là, cela fait trente-neuf ans que j'attends qu'il se reproduise.”