Potentiellement un anti-Millénium, non pas au sens propre, mais en tout cas dans la démarche de l'auteure, Eva Gabrielsson, compagne de feu Stieg "Millénium".
Trois motifs m'ont attirés dans cet essai biographique :
1. La couverture m'a tapée dans l'oeil au Monoprix.
C'est la même qu'ici - mais publiée aux éditions Babel -. Elle est emblématique de ce qu'est le livre : une posture quasi fusionnelle, de protection, d'un homme fatigué et d'une femme qui relit et porte l'oeuvre du premier. La parfaite iconographie anti-glamour, de deux personnes des années 80-90 pas très beaux, plus très jeunes, monochromes et lunettés. A défaut d'un couple d'amants-artistes maudits, des nerds maudits.
2. Je n'ai jamais lu Millénium mais j'ai vu (oh la la hérésie) l'adaptation de Fincher. Aux férus de voyage et de cultures étrangères comme moi, on ne peut qu'être fasciné par la Suède qui y est dépeinte, toute Hollywoodienne qu'elle soit. Un pays froid, sombre, silencieux, où xénophobie, relents de nazisme, violence faite aux femmes, sauvagerie quotidienne et mafia se côtoient. Et c'est là, la force de la série de polars de Stieg : de donner le devant de la scène à tous ces éléments qui reconstituent un mal social.
3. Ce qui nous mène à la dernière partie : la "raison sociale" et le véritable ouvrage de la vie, non pas de Stieg, mais d'un binôme engagé pour dénoncer la gangrène d'une société entière.
Alors Stieg et Eva, c'est une histoire assez banale, rare dans son intensité tranquille et toute dédiée au combat dans lequel ils sont engagés. Ils se connaissent très tôt, s'engagent côte à côte, se respectent, travaillent ensemble, s'aiment bien sûr, se soutiennent, se tirent à bout de bras, luttent, se protègent et se manquent. On ne sait jamais si c'est tout à fait une grande histoire d'amour ou un récit du front : l'histoire d'un combat sans fin, que veut réhabiliter Eva Gabrielsson dans ce bout de biographie en forme de réquisitoire pour Stieg, dont l'absence perce chacune des lignes qu'elle écrit. Elle explique chapitre après chapitre, souvenir après souvenir, comment Millénium est en réalité une oeuvre pédagogique constituée autour du travail de journaliste et de militant de Stieg : ses enquêtes sur les réseaux d'extrême droite en Suède, sur les maltraitances contre les femmes, la revue militante qu'il créé avec Eva...
Reste au final deux personnes trop amochées par la paranoïa, l'angoisse, la violence à laquelle ils touchent quotidiennement. Et bien sûr, trop peu de temps pour le reste. Stieg finira comme on le sait par mourir d'une crise cardiaque, et Eva par lutter pour obtenir un droit de reconnaissance (ils n'étaient pas mariés) afin de poursuivre le combat qu'ils avaient mené en tant que couple.
S'il ne fallait donc retenir qu'une chose de cet essai, qui finit par être un tantinet longuet vers la fin (on tombe dans la plainte contre les "adversaires" d'Eva), c'est la réinterprétation de ce qu'est l'amour, loin du glamour, loin du roman et plus près du "terrain".