"Tout comme les familles qui transportaient des animaux vivants parmi leurs frusques - ces chevreaux et ces agneaux rendaient encore plus pénible la promiscuité à bord - ils avaient trouvé le moyen d'embarquer leur grand piano à queue. Et, dans le tangage des nuits de haute mer, sous un ciel d'étoiles cruelles et rouillées, Elidia del Rosario, son épouse malade, avait eu le courage de distraire cet obscur troupeau entassé sur les planches du pont en jouant du Chopin".
Pampa Union, ville sortie du désert, au milieu des mines de salpêtre. Une cité qui sent le soufre, qui recèle de trafiquants en tout genre, s'anime de bordels et des cuites / rixes / malheurs des habitants qui la hantent. Le gouvernement chilien lui refuse une existence officielle, les autorités chrétiennes lui refusent une église.
Golondrina del Rosario, jolie "Mademoiselle" respectable au milieu du fourbis, illumine de ses notes de piano effervescentes et de la déclamation de ses poèmes Pampa Union. Bello Sandalio, ardent rouquin, invétéré coureur de jupons toujours prompt à attirer des ennuis sur belle petite gueule tavelée de taches de rousseur, envoûte de sa trompette (l'instrument de musique, je vous vois venir !) quiconque l'entend.
La suite, vous la devinez. Enfin, vous le pensez. Car, pas que... Entre le père de Golondrina, coiffeur anarchiste de son état, qui s'offusque des "injustices dans le désert" et s'indigne de la visite du dirigeant suprême du pays - le flic Ibanez - et Yemo Pon, jeune chinois dont l'oncle un peu excentrique fabrique à longueur de journées des lanternes qui pétillent dans le ciel, une dizaine de personnages hauts en couleur s'animent dans un tapage incessant, tourbillonnent dans les rues bordées de lupanars, de bistrots et de petits commerces, se désespèrent de leurs petits et grands malheurs dilués dans les vapeurs d'alcool.
Mais Mirage d'amour avec fanfare - dont leu titre seul invite au voyage de l'imagination et ravit les admirateurs de jolies tournures - c'est aussi et surtout une écriture majestueuse, bercée constamment de musique, de bruits, de sons, de cadences. Sans oublier les métaphores et les images – de la "tiède incandescence" au "faible soupir ailé" - qui collent à l'esprit comme la saloperie de poussière de salpêtre aux bas des pantalons.