Critique de Shaynning
Second opus de la série qui a gagné le Prix des Libraires du Québec dans la catégorie BD étrangère, "L'ombre de l'oiseau" est plus sombre et profond, mais prend place dans un monde plus élaboré,...
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le 23 oct. 2022
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Incontournable Mai 2024
Un peu à la manière de "L'Étoile du Soir", de Siècle Vaëlban, "Mischka" utilise l'intermédiaire d'un animal pour faire écho à un enjeu à l'échelle humaine. Ici, ce thème est le déracinement, la fuite, liée à la nécessité de sécurité, quand son propre pays n'en est plus le garant.
Roya n'avait que trois ans quand sa famille, ses parents et ses trois grands frères, prennent la route de l'exil, pour quitter leur Afghanistan devenue périlleuse et hostile envers certaines libertés, dont celles des femmes. Leur périple a duré six mois, avant que se succèdent cinq années de déménagement incessants et de réponses négatives de la part du gouvernement néerlandais. Puis, un jour, ils ont leur accord et la petite famille peut enfin se poser. Roya, maintenant âgée de neuf ans, pense que toute famille bien implantés sous sont toit se doit d'avoir un animal de compagnie. C'est ainsi que se joint à la maisonnée Mischka, un adorable lapin nain tout blanc. Dans le quotidien marqué par une normalité bien méritée, la famille semble se prendre d'affection pour le petit animal et assez naturellement, il devient leur confident.
On dit que les humains éprouvent le besoin de se raconter. Le récit de Mishka et de la petite famille en est un bel exemple. Après avoir expérimenté la perte de leur maison, de leurs possessions matérielles, de leurs cercles sociaux et de leurs repères autant culturels que linguistiques, la famille se retrouve nomade, entre bagages et bords de route. Ça implique d'être exposés à toute sorte de dangers et aux intempéries, ça implique de connaitre la faim, le froid et l'insécurité. Et pourtant, on entend dans les souvenirs échangés entre les membres de la famille, qu'ils ont eu aussi leur moments heureux. Une chanson donnée généreusement, un semblant de routine, des rencontres mémorables. Comme si malgré toutes les embuches la famille a su garder le positif de leur périple. Mais, comme on le constate, ils ont mit un certain moment avant de verbaliser tout ça.
Mischka était en quelque sorte le "témoin neutre", l'être de confiance qui recevait les témoignages des membres de la famille, au début, seul à seul. Ça me fait sourire, car j'y retrouve là le besoin des gens de traiter ce qu'ils ont vécu. Pour moi, c'est tout-à-fait normal et même très sain. Mieux encore, quand ils se sont rendu compte qu'ils partageaient ainsi leur souvenirs, ils ont fini par le faire entre eux. Les bons souvenirs comme les moins agréables. J'estime que c'était là le début de quelque chose d'important, la prise de conscience que désormais, tout cela est derrière eux. Au final, le récit de Mischka est ce passage entre déracinement et enracinement, qu'il fallait adresser et endosser. La petite famille afghane est maintenant "hollandaise d'origine afghane". Ils sont ici chez eux.
Un autre élément qui permet de parler de la transition que fait la famille tout doucement dans l'histoire est la fuite de Mischka vers la fin. Il me semble y voir un symbole, une version à petite échelle de ce que les membres de la famille ont vécu et expérimenté. C'est en tout cas ce qu'à penser Roya, qui a ainsi pleurer pour la première fois depuis fort longtemps. Elle transpose donc une réalité un peu trop abstraite pour son âge dans une situation davantage concrète et en tire des enseignements, des réponses. Surtout, elle me semble enfin mesurer la portée de ce que sa famille a traversée, alors qu'elle était trop jeune pour en saisir les nuances, les tenants et aboutissants. D'ailleurs, c'est grâce aux fragments de mémoire de ses frères Bachir, Hamayun et Navid, qu'elle en dresse un meilleur portrait, ce qui illustre encore plus l'importance du partage des souvenirs au sein d'un groupe. Se souvenir et se remémorer est un acte social en soi, qui permet non seulement de donner divers points de vue d'un même situation, cela permet de cimenter des relations. Ça n'a rien de banal.
À partir d'ici, il y aura quelques petits divulgâches.
Ce que je veux dire par "cimenter"les relations est que Roya et ses frères n'ont jamais été aussi proches les uns les autres qu'en partageant des souvenirs. Cela les a unis dans leurs recherches de Mischka également. Cela les a réunis dans cette petite classe d'école, à faire littéralement un exposé de leur "voyage", cette fuite incroyable qui a duré six mois. Je pense que de tous les thèmes, la bienveillance fraternelle, cette tendre unité et cette douce solidarité qui les unis, m'a semblé la plus touchante.
Comme l'ont fait remarquer d'autres critiques de ce roman, pas besoin de mots complexes ou de situation sensationnalistes pour donner du poids et de la profondeur à une histoire comme celle-ci. C'est un quotidien tranquille, avec quelques retours sur des souvenirs qui pétillent par-ci , par-là, et le foyer qu'ils œuvrent à construire ensemble, avec leur lapin domestique. Pourtant, avec les mots sobres et les choix de Roya dans ce qu'elle évoque, nous livre avec sincérité et candeur de réels enjeux. C'est un exercice difficile de mettre en mots simples des sujets nuancés, mais c'est là, il me semble, toute la magie de la littérature jeunesse.
Le roman est illustré, vous aurez donc tous les membres de la famille et même madame Slagmolen, illustré avec Mischka. C'est le cas de le dire, Mischka est la mascotte de la famille, en plus du confident. Le point focal, en somme.
Je souligne aussi un aspect de cette histoire que j'ai beaucoup aimé, sans doute parce que c'est en grande partie vrai, mais aussi parce que c'est là la vision du monde que j'aimerais voir se concrétiser: L'empathie des gens face à la famille de Roya. Quand Roya fait son exposé, elle fond en larme. C'est sans doute là le poids de la fuite de son lapin qui retombe, mais il entraine avec lui celui laissé par le voyage. C'est donc un gros déluge de pression qui s'externalise enfin et je remarque que la maitresse de classe a été remarquable. Douce, empathique, à l'écoute, pleine de compassion et compréhensive. Les petits camarades aussi ont été respecteux.ses. Je trouve beaucoup de romans dans lesquels les enfants immigrants deviennent des cibles d'intimidation ou de rejet social, alors en voir un qui fait le pari contraire me touche beaucoup. Je réitère: C'est de ça dont on a besoin, collectivement. De plus, l'intérêt éveillé chez les enfants par Roya et ses frères, qui ont partagé avec eux leur récit de voyage, était attendrissant. La curiosité est bien plus constructive que la méfiance et mène vers de meilleurs relations entre les diversités, je pense. Et puis, il faut dire que je les comprend: Quel périple! Le courage des immigrants, leur rage de vivre et leur espoir, sont hallucinants.
Certains pourraient trouver le tout "gentillet", parce que ça ne correspond pas aux images et aux réalités qui nous parviennent des situation irrégulières et migratoires, mais je vais nuancer la chose en disant que nous voyons les choses du point de vue de Roya, qui avait 3 ans et qui en a maintenant 9. Donc, je pense que sous la loupe de Roya et ses frères, il y a un certain filtre. Ils se sont davantage intéresser aux éléments comiques, étonnants ou neutres qu'aux choses effrayantes et dangereuses. Mais le danger était là, oui. Je pense qu'il s'agit là d'un trait typique des enfants, leur positivisme, leur résilience et leur curiosité facile. Et peut-être y a t-il aussi de la volonté de garder en mémoire le meilleur, ne serait-ce que pour le bien de leur santé mentale. Par ailleurs, tout n'a pas été dit, certains détails sont laissés vagues, comme la présence des soldats, par exemple ou le fait de devoir détruire d'éventuelles "preuves" de leur passage ou encore l'identité des passeurs. Ce ne fut pas une balade de santé, n'en doutez pas.
Enfin, à titre de libraire jeunesse dans le Grand Montréal, je sais déjà que ce genre de livre sera plus que pertinent vu le nombre de petit.e.s réfugié.e.s que nous avons dans cette région, en plus des dizaines d'autres nations qui y coexistent. Nous avons besoin autant des histoires qui parlent d'immigration, que de romans avec des personnages d'ethnies diverses. Pas seulement pour les enfants qui s'y reconnaitront, mais aussi pour les petit.e.s québécois.e.s qui les accueillent dans leur classe comme dans leur quartier. Parler de la diversité, la nommer et s'y intéresser, fera en sorte que nous puissions la célébrer et la comprendre.
Et puis, comment résister à un adorable petit lapin blanc?
Pour un lectorat intermédiaire du second cycle primaire, 8-9 ans+
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Créée
le 25 mai 2024
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