Incontournable Août 2022


Après "Le Cygne" de R.Dahl, puis "Sudie" de S.Flanigan, la maison d'Eux publie un troisième roman, "missié", qui contrairement aux deux premiers, n'est pas une oeuvre rescapée du passé, mais une oeuvre inédite.


Inspirée de l'histoire vraie de George Junius Stinney Jr, un garçon de 14 ans exécuté à tort pour le meurtre et le viol de deux jeunes filles blanches, "missié" fait parler une personne qui aurait pu être ce jeune condamné. Pour que vous ayez une mise en contexte, sachez que George est devenu le plus jeune condamné à mort à être exécuté aux États-Unis au XXe siècle et que durant le simulacre de procès qui a été le sien, il aura fallut moins de dix minutes au "jury", exclusivement composé de blancs, pour condamner le jeune homme. Il n'y aura eu ni témoins à la barre, ni avocat, ni appel. Il aura fallut 70 ans pour qu'une juge, Mme Carmen Tevis Mullen , annule la condamnation.[ Sources: NofiMedia et LaPresse]


Dans ce roman, nous entendons Martin Julius Crow Jr, nous relater sa courte vie, de son éducation aux moeurs de l'époque, dans ces États-Unis du Sud profondément racistes. Officiellement, l'esclavage est aboli depuis
le 31 janvier 1865, mais dans les années 30-40, le racisme persiste dans certains états. La violence à l'endroit des Noirs est révoltante et le décalage des Droits est abyssale. Certains Noirs, appelés "Bons Nègres", constitue une sorte de classe-tampon, des Noirs n'ayant pas les mêmes droits que les Blancs, mais qui travaillent pour les Blancs. Ces individus perpétue la même violence que les Blancs, mais contre leurs propres concitoyens afro-américains. Même les soldats Noirs qui tentent de s'humaniser par l'intermédiaire de l'armée ( Nous sommes aux prémisses de la seconde Guerre Mondiale) sont employés aux tâches ingrates et comme chaire à canon. Bref, à travers ses mots, Martin nous dresse le portrait révoltant d'un "cauchemar Américain" Noir, qui est l'un des socles de la richesse qui contribue au "Rêve Américain" Blanc. Mais surtout, c'est l'histoire d'un jeune homme qu'on a injustement condamné pour un crime qu'il n'a pas commit, parce que cela faisait bien l'affaire des Blancs de penser que seuls les Noirs avaient un potentiel criminel. Ce genre d'injustice judiciaire fut et reste encore courant aux États-Unis ( et même au Canada, son voisin).


À l'instar du "Cygne" de Dalh et de "Sudie" de Flanigan, "missié" est un roman coup de poing, marquant son récit d'une dérive sociale et d'un manque d'éducation. On peine à imaginer combien les sudistes américains peuvent avoir été cruels et si immensément suffisant de se croire mieux que les autres ethnies, et pourtant, certaines de ses mentalités existent encore. Pour mieux conserver leur ascendant sur ces "meuble vivants", certains Blancs ont simplement déshumaniser ces gens venus d'Afrique, en les rabaissant au mieux au rang d'animaux ( on les compare souvent aux singes), au pire au rang d'outil interchangeable. On admettait que les Noirs n'avaient pas d'âme, qu'ils étaient naturellement violents et stupides, voir même sauvages. le pire, pour moi, est de constater que certains parents inculquait cette violence dès l'enfance, en battant leurs enfants pour les "endurcir". Martin nous raconte comment son père, dans sa façon de l'aimer, traitait chacune de ses bêtises à la force de ses coup de ceinture. Cela a quelque chose de fort perturbant.


Martin est décédé quand ce roman débute. Il semble parler à un Blanc, qu'il appelle "missié" ( "Monsieur" en créole haïtien). Il peut lui parler comme à un égal, maintenant qu'il n'a plus ce corps de Noir dont il parle souvent comme d'un revêtement gênant et source de problèmes. Ce qui est très triste comme constat. Il reste généralement dans le factuel, mais il y a aussi présence d'une certaine philosophie. Martin s'est posé bien des questions et aura eut peu de réponses. Il semble que ce soit une fois passé de l'autre côté qu'il ait eu le temps d'y réfléchir. Parfois, il fait même dans l'humour, mais un humour noir - selon ses propres termes. Son point de vue a quelque chose de fascinant, malgré l'horreur qui sous-tend sa vie. Ce qui fascine est la façon que Martin et ses concitoyens afro-américains avaient de se doter de codes pour survivre dans ce monde de Blanc conçu exclusivement pour les Blancs.


Je pense que ce roman fera une excellente plate-forme pour susciter des réflexions auprès du lectorat adolescent. Sa formule courte ( environ 85 pages) permet de le lire somme toute rapidement, mais les thèmes et les questions soulevées, elles, risquent de hanter le lecteur durablement. C'est toujours impressionnant, dans le mauvais sens, de constater l'immense stupidité humaine, pour cette espèce qui peut en même temps se montrer si songé. Quelle prise de conscience ou quels réflexions ce livre suscitera-t-il chez vous?


Pour un lectorat à partir du premier cycle secondaire, 13 ans+.

Shaynning

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