Dans cet essais, à ma grande surprise, mais aussi ma plus grande joie, India Desjardins navigue sur un thème que je trouve important, pas seulement en tant que libraire jeunesse, mais aussi en tant que personne, à savoir la Glorification des relations toxiques dans le milieu culturel.


J'observais déjà, durant mon adolescence, que les modèles féminins proposés tant à l'écran que dans les romans ( Jeunesse et Adulte) étaient peu nombreux, stéréotypés et qu'elles ne jouissaient pas du même libre-arbitre que leurs alter ego masculins. Aucunes ne m'interpellait. Pire, elles souffraient presque toutes du même syndrome: "L'Impératif Masculin". Alors que les personnages masculins avaient des projets grandioses et des aventures diverses, avec en bonus la plus belle fille de l'école au bras, nos héroïnes féminines quand à elles, DEVAIENT finir avec le beau ténébreux arrogant sexy, le prince charmant ou , pire encore, le "Bad Boy" aussi égocentrique que violent. Oui, même en jeunesse. Pas besoin de gifles pour être violents, rappelons-nous . Dans leur histoire, qu'elles soient impliqués dans un projet ou une cause est secondaire, du moment qu'elle ne soient plus célibataire au bout du roman ou du film, et si possible, déflorées. J'ai donc perdu foi en la romance de la littérature jeunesse comme des comédies romantiques à plusieurs reprises, parce que je ne pouvais pas me résoudre à aimer ces relations toxiques et que ces stupides filles superficielles et désespérées ne m'interpellaient pas du tout, contrairement à mes contemporaines du même âge, visiblement. J'étais blasée que les filles n'ait au final qu'une finalité: celle de combler un gars. Il aura fallut patienter quelques années avant que je ne trouve des romans où les filles finissaient célibataires, et encore! C'étaient des filles rondes, gay ou marginales. ( Soupir) Fait amusant, cependant, la série "Le Journal d'Aurélie Laflamme" de la présente autrice, aura été l'une des rares à sortir des conventions et à offrir des romances saine.


Une fois adulte, les questions n'ont fait que s’amplifier, mon indignation aussi, à mesure que se succédaient les romans toxiques: tous les romans "Twilights", puis cette bêtise de "La Sélection", puis "Rouge Rubis", "Promise", "Night School", "Filles de Lune", "Métamorphose", "Palais d'épines et de roses", et, en littérature adulte, toute la brochette de romans "New Romance" qui ne sont au final que des Arlequin sombres où la violence faite au femmes se multiplie. La "Dark Romance" s'est même ajoutée, summum de la violence à tous les niveaux. Et des ados y adhèrent, sans cesse poussées vers ces romans, que ce soit par le biais des réseaux sociaux comme TikTok et Instagram, ou par ces plate formes qui sont des nids à fantasmes sexuels violents comme Wattpad. C'est d'ailleurs là qu'à commencer la série des "After" , cette série où un jeune homme très violent à parié à ses amis qu'il dévirginerait une fille "coincée". Cette dernière est bien sur tombée amoureuse de lui et une relation orageuse se poursuit sur cinq tomes très mal écrits. Chaque nouveau roman publié en jeunesse étiqueté "Wattpad" comprend sa relation toxique, c'est presque systématique.


C'est donc avec un certain soulagement que je lis India Desjardins et ses interrogations qui font écho aux miennes. Je suis inquiète de voir qu'autant de femmes ne voient pas la violence faite à ces personnages féminins, toute fictives qu'elle soient. Ça traduit soit un cruel manque d'informations ou pire, une désensibilisation au phénomène. De fait, la quantité de romans, de séries et de films avec des relations toxiques est énorme. Mais ça traduit aussi que bon nombre de gens ne savent pas reconnaitre la violence. Ceci-dit, certaines formes sont difficiles à percevoir, comme la violence psychologique, qui est vicieuse, subtile et progressive.


C'est difficile pour moi en tant que libraire jeunesse de trouver des romances saines. C'est réellement un problème, car si les adultes peuvent compter sur le poids de leur expérience, nos adolescentes et nos filles beaucoup moins. Savoir qu'on les expose à ces concepts amoureux délétères, en leur faisant croire qu'aimer c'est de se sacrifier, de renoncer, de souffrir, de se laisser insulter et rabaisser, de croire que la jalousie est un signe d'amour et que l'arrogance, la condescendance et la possessivité sont des signes d'amour, ça me dépasse et ça m'inquiète.


Comprenez moi bien, il n'est pas question de mettre ces romans qui glorifient les relations toxiques à l'Index, mais il m'apparait urgent qu'on s'interroge sur la surreprésentation des romances toxiques et à risque dans la Culture, particulièrement celle de la Jeunesse. Il faudra, pour se faire, prévenir, éduquer et dialoguer sur le sujet. Autrices et auteurs inclus. Il faudrait déjà que le sujet ne soit pas si marginal, encore aujourd'hui. Et bien sur, il serait intéressant de voir une plus grande diversité de relations amoureuses saines. Parce que oui, à force de relire vingt fois que le plus grand idéal de toute adolescente normale est de "sauver" de son passé difficile un bad boy aussi égo-maniaque qu'instable ou de choisir la facilité financière du gars riche qui a une personnalité aussi lisse que sa laque pour cheveux, franchement, on en vient à de demander pourquoi on est seule à ne pas y adhérer.


Le meilleur exemple que je puisse donner, après "Grease" ( Dont l'autrice va parler), c'est "Breakfast Club". Dans ce film de 1985, cinq archétypes adolescents sont en retenue ensemble un samedi. L'idée était de faire prendre conscience que nous sommes plus que cette étiquette que nous pose la société. Bonne idée, encore aurait-il fallut laisser de côté deux énormes clichés: La "Détraquée" bizarre qui charme le Sportif avec un peu de mascara et des cheveux relevés, et la "Populaire" qui tombe sous le charme du "Bad Boy", qui a été odieux, mesquin, insultant, moqueur, condescendant et même sexuellement agressant ( Il a mit sa tête dans son entrejambe et a fait de nombreuses remarques comme "On attache la reine de la promo et on la met en cloque". Charmant.) avec elle, tout particulièrement. Et elle se dit "amoureuse"?! Mais enfin! C'est grotesque et très improbable, à moins d'être masochiste. Mais c'est hélas monnaie courante en littérature jeunesse, en comédie sentimentale, bref, dans les histoires où il y a de jeunes femmes.


En fait, et c'est là un autre souci, les relations toxiques ne sont pas le propre des hommes, qui a travers le prisme de la caméra et du papier, vont encore miroiter une de leurs conceptions de la femme idéal, soumise, stupide, jolie et docile. Non, les pires romans jeunesse et adulte qui véhiculaient des concepts amoureux toxiques ont été écrits par des autrices. Ce qui me fait demander si ces femmes promeuvent sans le savoir des glorifications de relations toxiques sans s'en rendre compte? Qu'elles ont intégré des idées sexistes et perçu des comportements violents comme "normaux"? Parce qu'à la base, elles ont écrit des romances, c'est donc que de leur point de vue, la romance permet certains comportements inadéquats de la part du conjoint/chum/copain? Ou alors, elles mêlent fantasmes et réalité? Parce que je ne vois pas comment on peut confondre un Bad Boy opportuniste avec un prince ténébreux torturé qui cache un cœur en or - parce que ça n'existe tout simplement pas. Et d'autres fois, je me demande si la génération Arlequin n'a pas contribué à faire naitre des archétypes masculins épouvantables. Bref.


J'aimerais voir plus de conversations autours du sujet. Je commence à en trouver sur les réseaux, mais si peu. Le pire est que nous trouvons des milliers de femmes prêtes à défendre bec et ongle ces romances malsaines et toxiques, que ce soit les films, les séries ou les romans. Comme quoi, le déni peut être terrible quand il s'agit de préserver ses désirs.


Il existe sur la plate-forme Booknode deux listes qui, à mon sens , traduit cette réalité dans laquelle de nombreuses lectrices désirent des histoires avec des hommes violents et des relations toxiques [ Notez la popularité de ces deux listes]:


"Romances où le gars est exécrable avec la fille": https://booknode.com/liste/romances-ou-le-gars-est-execrable-avec-la-fille


"Les personnages masculins bad boys, jaloux, possessifs...: https://booknode.com/liste/les-personnages-masculins-bad-boys-jaloux-possessifs


Un des éléments récurrent dans le présente essai est notre perception du 'Mâle" idéal, tel que Mister Big représente. Riche à outrance, sexy, indomptable, terriblement séduisants, amoureux cynique, arrogant, ces "Dieux" masculins reviennent souvent, comme si l'homme à fuir était au contraire routinier, sobre, tranquille, intelligent, raisonnable et issu de la classe moyenne. D'une certaine manière, on a l'impression qu'il faut souffrir pour être digne de ce mâle absolu qui va pourvoir à nos caprices les plus fantasques parce qu'il en a les moyens, mais en contrepartie, il faut se soumettre et admettre que sa vision du couple a préséance sur celle de la femme. Et puis, très souvent, ce mâle sexy obscure dominant est aussi très bon au lit. Ça vaut le cout de faire des compromis pour éviter de finir à un homme qui est routinier au lit aussi, non? Comme dans les "Twiligts", les "Fifty Shades of Grey", les "After" et même "365 jours", roman dans lequel une femme est kidnappée, violentée, violée, pour finir amoureuse de son geôlier.


J'ajoute que les relations toxiques glorifiées nuisent aussi aux garçons et aux hommes. On véhicule l'idée que les filles sont sensibles au charme des Bad Boy et autres connards du genre. On véhicule l'idée qu'il est normal d'être dominant envers les femmes. On véhicule aussi l'idée que les garçons gentils, attentionnés et sans histoires dramatiques sont "ennuyeux". Qu'une relation paisible, ça m'existe pas et ça ne se désire pas. Bien sur, et madame Desjardins le souligne, être gentil e attentionné n'est nullement garant d'un retours d'ascenseur amoureux, comme se plaisent à le montrer certaines comédies romantiques, mais il serait faux de faire croire que seuls les torturés fortunés sexy sont les seuls à mériter l'attention de la gente féminine. Surtout quand ces "princes ténébreux" n’aimeront jamais qui que ce soit plus qu'eux même et ne sont prêt à aucuns compromis. Des dictateurs relationnels, en quelque sorte.


Bref, il importe, il me semble, de traiter de cette récurrence des rapports toxiques dans les relations amoureuses, mais aussi dans le rapport de genre en général. Et je réitère que le phénomène n'exclut pas la Culture Jeunesse, au contraire, c'est de pire en pire, surtout avec l'arrivé de la littérature Jeune Adulte/Young adult, à tort destinés aux jeunes adolescents alors qu'il concerne les cégepiens et universitaires. J'espère que nos profs seront parmi les premiers à en parler et j'espère que les libraires jeunesse y apporteront une plus grande attention.


India Desjardins amorce une interrogation qui me semble légitime et elle le fait avec une certaine douceur, sans rien enlever à la pertinence de son propos. Il se lit somme toute très bien, avec des références à l’appuie, notamment une psychologue spécialisée en relations conjugale. Elle couvre sur un large spectre, passant des séries télévisées aux films, en donnant de nombreux exemples. Aussi, elle passe souvent sur l'évolution de ses perceptions, et c'est un élément pertinent: avec le temps et l'expérience, en effet, notre vision change. Certains seront peut-être plus chatouilleux/euses que d'autres à reconsidérer leur avis sur ces films et romans qui ont marqué leur jeunesse, mais c'est un exercice intéressant à faire.


Je n'ai pas encore fini le petit ouvrage, mais comme vous le constaterez, il fut riche en réflexion et j'espère le voir meubler les bibliothèques autant des adultes que des ados, des bibliothèques municipales que des bibliothèques scolaires. Un petit essai que j’espérais voir apparaitre depuis plusieurs années et que je suis soulagée de voir enfin. Ça me fait d'autant plus plaisir qu'il s'agit d'une autrice de ma province et qui aura eu le mérite de ne pas tomber dans le piège des relations fantasmagoriques qui se vendent allègrement au lectorat des adolescentes avec sa propre série jeunesse.


Pour un lectorat adulte, mais pourrait servir dans les écoles secondaires, dans le cadre des cours de société ou de sexualité.

Shaynning
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le 22 mars 2022

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