Je suis passée par tous les états au cours de cette lecture : punaise qu'est ce qu'on s'emmerde, wow mais c'est génial je me marre trop, euhhh c'est super sordide là, mais enfin comment ça va bien finir, pfff qu'on en finisse elle me gave, aaaah pas mal ce virage... Bref, j'ai trouvé ce roman assez déséquilibré, dans ma réception. Dans son écriture, ce n'est pas vraiment un style qui me parle a prime abord : très cru, droit au but et sans fioritures, abusant du name dropping pour dépeindre (avec beaucoup de précision) les Etats-Unis consuméristes du début des années 2000. Une sorte de Bret Easton Ellis au féminin. J'ai beaucoup pensé à l'auteur d'American Psycho (sans l'avoir lu lol, même si j'ai lu d'autres romans de lui), en me disant qu'Ottessa Moshfegh me semblait proposer une lecture désabusée et cynique des Etats-Unis anté-11Septembre, avec un point de vue féministe qui est réjouissant.

L'anti-héroïne est antipathique au possible, méprisante de tout le monde et indifférente à ce qui l'entoure. Elle côtoie (supporte ?) une "meilleure amie" boulimique obsédée par son apparence et la validation sociale. Elle est orpheline d'une mère monstrueuse qui ne lui a jamais témoigné le moindre signe d'affection. Son ex-petit copain est un homme immature, abusif et profondément misogyne, sans que ça ne soit jamais dit : c'est les années 2000, personne ne mettait le mot "violeur" sur un petit ami qui vous forcez à des relations et pratiques sexuelles.

L'héroïne souffre en réalité d'une grave dépression, mais son modus operandi est de s'éteindre un an grâce à un cocktail ahurissant de médicaments. Elle veut s'extraire d'un monde vain, dont elle ne comprend pas les codes faute des les avoir appris. Elle est tellement profondément engoncée dans l'indifférence qu'elle veut juste se mettre en veille, dans l'espoir que cette pause lui régénère le cerveau, le corps, le coeur, et lui donne envie d'avancer à la fin du processus.

J'ai bien aimé cette écriture d'une époque révolue, qui a changé, mais si peu par endroit. Le style de Moshfegh semble impersonnel et peu habitée mais ça retranscrit bien l'état atone de l'héroïne. Je me suis surprise à beaucoup aimé certains passages, bien ciselés malgré la simplicité des mots.

J'ai l'impression que maintenant on nommerait plus les choses : maltraitances émotionnelles, relations abusives, viol conjugal, dépression... Une écriture de 2024 qui raconte des choses qui étaient peu exprimées au début des années 2000, sans l'échappatoire de l'"air du temps" qui permet aujourd'hui de commenter les vices de nos sociétés (sans pour autant trouver de solution malheureusement).

La plongée en spirale vers une réalité de plus en plus parallèle est bien gérée, et j'ai beaucoup aimé les passages délirants où elle rend visite à sa psy, ceux où elle enquête sur sa vie d'ensommeillée... Voilà, en y réfléchissant un peu plus, ce roman burlesque, sordide, dérangeant, va me hanter un petit moment. Mais je ne peux pas dire que j'ai adoré le lire. Je l'ai lu comme un objet étrange, un objet qui change de ce que je lis d'habitude, mais un objet trop froid et dénué d'émotions pour qu'il me parle.

aaiiaao
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le 3 nov. 2024

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