Un récit très vivant qui s'apparente à une véritable enquête policière

Journaliste à France 24, Stéphanie Trouillard travaille plus particulièrement sur les sujets touchant à l'actualité internationale, au sport et à l'histoire de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. À ce titre, elle a réalisé en 2017 un webdocumentaire "Si je reviens un jour", les lettres retrouvées de Louise Pikovsky, consacré à l'enquête qu'elle a menée autour d'une jeune lycéenne juive morte en déportation. L'histoire tragique de cette jeune fille est d'ailleurs en cours d'adaptation sous forme de bande dessinée (sortie en mars 2020).



André Gondet, cet inconnu...



Le point de départ de cette enquête : la photo d'un jeune homme accrochée sur un mur de la maison familiale en Bretagne. Son nom ? André Gondet. Il s'agit du frère du grand-père de l'autrice, résistant mort le 12 juillet 1944. Une photo, un nom, une date de naissance et une date de décès, rien d'autre. Comme dans nombre d'autres familles ayant vécu la Seconde Guerre mondiale, le silence est alors de mise.


Pourtant, un jour, tout cela va changer. Quelques années après le décès de son grand-père, le père de Stéphanie Trouillard décide de faire l'arbre généalogique de la famille. Pour l'aider, elle se lance alors dans des recherches sur les soldats de sa famille et découvre le nom d'André Gondet. Elle se souvient alors de cette fameuse photo qui l'intrigue depuis son enfance. De lui, il n'existe pas d'autres photos, pas de lettres, pas de papiers. Autour d'elle, personne n'est capable de lui donner le moindre renseignement. Insaisissable, André Gondet est comme un fantôme. Qui était-il ? Que lui est-il arrivé ? Pourquoi son grand-père refusait-il de parler de son frère ? Autant de questions qui ne cessent de tarauder la jeune journaliste passionnée d'histoire. Bien décidée à éclaircir ce mystère, elle se lance alors, telle une détective, dans une longue enquête dont elle ignore encore les tenants et les aboutissants...



Le récit poignant d'une longue enquête



Dans ce livre, Stéphanie Trouillard retrace avec beaucoup de sensibilité et de précision les recherches qu'elles a menées pour exhumer la mémoire de son grand-oncle. De la Bretagne à l'Allemagne, en passant par Paris ou bien encore par Caen, l'autrice nous fait partager ses découvertes, fruits de nombreuses heures de travail en archives, de lectures d'ouvrages sur la Seconde Guerre mondiale, de recherches sur le web, d'envoi de lettres, d'appels à témoins dans la presse et de rencontres avec les derniers témoins de cette époque. Une enquête qui s'apparente ainsi à une véritable course contre la montre, beaucoup de témoins étant déjà décédés. Les années ont passé, mais les blessures ne sont pas encore refermées, la douleur est encore bien présente dans de nombreuses familles, se transmettant même de génération en génération. Ainsi, certains témoins refusent de parler ; d'autres, d'abord réticents, finissent par libérer leur parole ; d'autres enfin sont heureux de voir que la jeune génération s'intéresse à cette période de l'histoire.


Tout en respectant la position de chacun, Stéphanie Trouillard ne néglige aucune piste et fait preuve d'une ténacité et d'une persévérance incroyables ! Soutenue par sa famille, elle fait face avec beaucoup de force aux moments de découragements, aux pistes qui se transforment en culs-de-sac, aux regrets, aux hésitations, faisant fi des remarques que ceux qui s'intéressent à l'histoire et à la généalogie ont coutume d'entendre : "Un véritable passe-temps de vieux, à la limite du glauque ou du carrément macabre".
Le récit, empreint d'émotions parfois contenues, parfois trop fortes, montre à quel point cette quête l'a remuée, virant parfois à la quasi obsession comme elle l'admet elle-même, tant le besoin de connaître la vérité est fort, avant qu'il ne soit trop tard. D'ailleurs, certains passages évoqueront sans aucun doute des souvenirs à celles et ceux qui ont déjà fait des recherches en ce sens. Ainsi, sa description de ses recherches au Service Historique de la Défense à Vincennes :


"Je suis subitement submergée par une émotion inattendue. Je me rends compte que je vois pour la toute première fois la signature de mon aïeul et que je tiens un document qu'il a lui-même touché, il y a plus de soixante ans. [...] En tenant entre mes doigts ces documents, j'ai l'impression qu'un lien vient de se créer avec cet arrière-grand-père que je n'ai jamais connu, comme s'il me passait maintenant le flambeau, le devoir d'être la gardienne de leur passé. [...] Dans la salle Louis XIV, je baisse les yeux. Les larmes brouillent mon regard ; mes mains sont moites ; mon coeur bat à toute vitesse. Je n'ose même plus toucher les papiers de peur de les abîmer. Tout se bouscule dans ma tête."


Par expérience, je confirme que consulter un dossier de résistant au Service Historique de la Défense, un dossier qui n'a peut-être jamais été ouvert avant vous, c'est comme créer ou renouer un lien avec la personne disparue, comme si vous vous étiez donné rendez-vous, un rendez-vous hors du temps.



Une histoire familiale, l'histoire d'un pays occupé



Malgré les obstacles, petit à petit, avec patience, minutie et rigueur, Stéphanie Trouillard effectue un véritable travail de fourmi : elle récolte et rassemble les documents et les témoignages qu'elle parvient à récupérer, les étudie, les classe et les font parler. D'ailleurs, un cahier en fin d'ouvrage rassemble quelques-uns de ces documents – portraits, cartes, archives – qui permettent de mettre des visages sur les noms et de bien situer les lieux cités dans l'ouvrage.
Grâce à ce long travail d'enquête et d'analyse, elle va parvenir à retracer le parcours de ce grand-oncle, un jeune homme bon vivant et volontaire qui, pour fuir le STO, s'est engagé dans la Résistance. Traqué par les soldats allemands et les miliciens, dont Zeller, Munoz et Gross, André Gondet est exécuté le 12 juillet 1944 à l'âge de 23 ans dans une ferme à Plumelec (Morbihan) avec d'autres résistants, des parachutistes SAS et les fermiers qui les avaient accueillis.
Mais, à travers cette enquête, l'autrice nous dévoile plus largement toute une partie de l'histoire de la Résistance en Bretagne et même toute une page de l'histoire de France, l'Occupation, la collaboration, la Résistance, le STO, etc. Mais jamais elle ne perd le fil conducteur de son récit, l'histoire de son grand-oncle.


Au terme de ce récit émouvant, bien documenté et à l'écriture précise, vive et enlevée, André Gondet n'est plus un fantôme. Sorti de l'oubli, il a pleinement repris sa place au sein de la famille et a reçu le 9 février 2019 la médaille de la Résistance française à titre posthume. Ce livre et cette médaille sont sans aucun doute le plus bel hommage que l'on pouvait lui rendre. Mission accomplie pour sa petite-nièce !

Créée

le 26 janv. 2020

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