Parmi les voix qu'on retrouve toujours avec plaisir, il y a celle d'Isabel Allende, figure majeure de la littérature chilienne, qui n'a pas toujours été à la hauteur de l'admiration qu'on lui vouait après la découverte de La maison aux esprits, mais elle s'est diversifiée à l'extrême, jusqu'à écrire de la littérature jeunesse, donc ceci explique cela. Il n'en reste pas moins qu'elle est attachante, sensible et drôle, et qu'elle excelle à observer les événements avec une saine distance, teintée d'humour, qui rend la réalité plus supportable, même dans le cas de l'histoire tragique de son jadis si malheureux pays. C'est sa géographie accidentée qu'elle commence par explorer, en nous prenant par la main, du Nord au Sud et d'Est en Ouest. Comme beaucoup de chiliens, elle est sous le charme de ce territoire escarpé et contrasté, qu'elle a à cœur de présenter sous son meilleur jour, en convoquant s'il le faut la poésie de Neruda. Autant dire qu'on se régale à suivre ses pas. Elle s'intéresse ensuite à ses compatriotes, en n'omettant pas de mettre le doigt sur leurs petits travers, mais toujours avec une belle indulgence, puisqu'elle a l'humilité de reconnaître qu'elle les partage, pour la plupart. D'ailleurs, le portrait qu'elle brosse de sa famille ne manque pas non plus de piquant. Et elle finit avec les sombres événements de la dictature de Pinochet, qui lui a valu l'exil, mais à laquelle elle doit aussi sa vocation de romancière. Au final, ce joli livre est une réflexion enlevée sur ce que chacun doit au substrat dans lequel il a plongé ses racines, qu'il ait choisi de rester sur place ou de parcourir le vaste monde. Il met également en lumière les sources de l'inspiration qui a nous donné tant de belles histoires, d'Eva Luna à Retrato en sepia. C'est à ça qu'on reconnaît les véritables auteurs, en ce qu'ils sont capables d'établir des liens subtils entre eux et le reste d'entre nous, de nous parler de nous tous quand ils se penchent sur leur propre destin. Une méditation hautement recommandable, donc.