Truculent, monstrueux, jouissif !
Même si je n'ai pas tout lu d'Emmanuelle Bayamack-Tam, je peux vous dire qu'elle construit au fil de ses livres une œuvre singulière et originale, avec quelques thèmes, quelques détails, récurrents. Ses personnages vivent souvent en marge de la normalité, tantôt obèse, tantôt travesti, tantôt atteint d'Asperger, mais sont quasi toujours édifiants de beauté. L'origine, le rapport aux parents, la différence, le corps et la sexualité sont des thèmes omniprésents. Et cette truculente pièce de théâtre ne déroge pas à la règle.
Alexandrine, seize ans, n'a pas grandi comme les jeunes de son âge. Sans doute autiste, elle est habitée par des chansons qui lui pourrissent l'existence, ne supporte pas la saleté, ne sait pas qui elle est vraiment, se branle à s'en faire saigner sans jamais parvenir à jouir et, comble de son malheur, ses parents séparés ne peuvent s'adresser la parole sans se faire mille reproches. Elle assiste donc régulièrement aux insultes qui fusent envers un mari incapable de bander correctement, qui se prend pour un jeune premier à soixante-quinze ans, envers une mère qui déteste sa fille depuis quatorze ans et demi, jalouse de sa jeunesse et de sa beauté insolentes qui finissent par l'éclipser, etc.
Elle ne comprend pas grand chose à sa vie, à la vie en général et quand ses parents se sont mis en tête d'organiser son déflorage pour lui éviter de mauvaises surprises, ça se corse.
C'est précisément à ce moment que se passe la pièce, lors de la décision et lors de la perte d'innocence imminente.
Forcément, le sujet amène à nombre de scènes délicieusement drôles, car la force d'Emmanuelle Bayamack-Tam est de servir son propos par une écriture brillante, pleine de folie et d'un cynisme à toute épreuve. Politiquement incorrecte sans devenir graveleuse, elle se permet ce qu'elle veut dans des livres déjantés dont le réalisme a de quoi effrayer la ménagère. Mon père m'a donné un mari est une pièce curieuse, excentrique et succulente, qui part dans tous les sens, de la folie sexuelle des Kennedy aux choix de prénoms invraisemblables.
Laissez-vous embarquer dans l'imaginaire pas très fantastique, mais extravagant et carrément jouissif d'un monstre littéraire injustement méconnu.