Il ne faut pas s'attendre, en lisant ce petit livre, à une révélation philosophique. Trois livres pour trois jours de conversation avec l'un des plus grands penseurs chrétiens : c'est ce que propose Pétrarque à travers ce dialogue virtuose. Certes, les idées exposées par les protagonistes sont "classiques", elles émanent de Saint-Augustin et des grands poètes antiques, fréquemment cités pour appuyer l'argumentation de l'un et de l'autre. "Rien n'est plus aimable ni plus éphémère que la beauté" (Suétone, Domitien, 18), lit-on par exemple. Prise à part, cette sentence semble un peu creuse et pourrait fort bien figurer dans un ouvrage de développement personnel douteux. Mais - et c'est là le talent de Pétrarque -, dans Mon secret, la citation est employée comme un pur objet rhétorique. Seule, elle est sans valeur, bien qu'on en trouve de fort belles ; sous la plume du poète florentin, elle devient le joyau qu'on incruste dans le plastron.
Si l'on connaît déjà un peu Saint-Augustin, ce livre ne fait que résumer sa pensée. Cependant, on ne peut qu'admirer l'habileté de Pétrarque à bâtir un dialogue vivant, où les répliques fusent, et qui témoigne du caractère des deux personnages. L'autorité de Saint-Augustin se fait admirablement sentir dans ses paroles. Ce qui émeut, c'est la tendresse de Pétrarque, qui décide de peindre le philosophe comme un vieux père réprimandeur mais toujours à l'écoute.
Mon secret entraîne le lecteur dans la confidence du poète, sans prétention. Metteur en scène de génie, Pétrarque cherche ce que nous cherchons tous : le bonheur qui, malgré les maximes des sages, semble faire des pieds de nez à la condition humaine. Pourtant celle-ci trouve sa justification dans l'entêtement du poète : "Je sais bien qu'il vaudrait mieux tout de suite m'occuper de mon âme, et abandonner les chemins de traverse pour suivre la route droite du soleil. Mais je ne peux borner mon désir."