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Depuis qu'Eddy Bellegueule est devenu Edouard Louis, ce dernier ne cesse de publier des introspections sur son milieu familial. Pourquoi pas ? Je ne critique pas la démarche, l'apprécie même beaucoup chez un Riad Sattouf qui, après avoir raconté son enfance, s'attaque à celle de son frère. Je n'ai pas suivi toutes les étapes de l'exploration de la cellule familiale d'Edouard Louis. Pas lu le précédent, déjà consacré à sa mère.

Monique, c'est donc maman, et maman est abonnée aux alcooliques violents. Un classique, sous-tendu probablement par une structure psychique non explorée ici. L'alcoolo qu'elle quitte à Paris est son troisième. Entre temps, Edouard Louis a pris la lumière, la célébrité le propulse un peu partout dans le monde, par exemple à Athènes lorsque Monique décide de s'évader. La liberté a un prix, dit-on toujours, et ce prix peut se mesurer en euros. C'est déjà ce qu'avait développé Virginia Woolf avec son fameux Une chambre à soi, convoqué dans le livre. On est abasourdi d'apprendre que le manque d'argent peut restreindre la liberté individuelle !... Un vrai scoop. Puisque le narrateur est à présent à l'abri du besoin, il va pouvoir financer l'exil de sa mère au plus près de sa sœur. Coup de chance, celle-ci est plutôt de bonne composition.

Le propos pourra toucher au cœur ou agacer suivant le lecteur que vous êtes. Je me suis plutôt rangé dans la seconde catégorie. La fin, notamment, est dégoulinante de sucre, avec la mère qui vient assister à un spectacle de théâtre en son honneur en Allemagne. Elle n'a jamais pris l'avion, oh ! L'aéroport, oh ! Le bel hôtel oh ! Si l'histoire de Monique prend un tour extraordinaire, c'est grâce à l'auteur qui a gravi les échelons sociaux par sa plume. Le reste avait jusque là été tristement banal : une femme soumise, qui n'a jamais eu de temps pour elle, qui découvre à 55 ans la liberté, fût-ce au prix d'un cliché, page 44 :

Au moment où elle aurait pu se familiariser avec l'informatique, elle manquait de temps puisqu'elle - préparait le petit déjeuner des enfants tous les jours, - elle les réveillait pour aller à l'école, - elle repassait leur linge, - elle allait les chercher à la sortie des classes - je n'ai jamais vu mon père accomplir la moindre de ces tâches en quinze ans.

Il me semble que les tâches susmentionnées n'occupent pas vraiment une journée entière, si ? Je précise que je parle d'expérience puisque j'ai eu la charge de deux enfants seul la moitié du temps. On exagère très nettement la charge de travail que cela représente. Sauf si on en fait beaucoup trop bien sûr : y a-t-il besoin de repasser le linge des enfants, on pourra en débattre... Avec ce passage, on découvre aussi que certains hommes de la génération précédente ne participaient pas aux tâches ménagères. Un autre scoop, qui justifiait bien d'être écrit en italique...

On n'échappera pas non plus aux couplets misérabilistes sur tous ceux qui ne sont pas nés une cuillère en argent dans la bouche.

Quelques moments intéressants se dégagent toutefois. Lorsque l'auteur vient déménager sa mère, il découvre l'homme qui la battait. Page 122 :

(...) je me suis mis à penser, en regardant cet homme d'apparence faible et pathétique, et contre toute attente ou anticipation de ma part, que peut-être, il était innocent, innocent non pas au sens où il m'inspirait de la sympathie ou de l'affection, loin de là, mais innocent au sens conceptuel, pur, au sens où rien en lui ne témoignait de la capacité de faire, d'entreprendre ; il n'avait que l'allure d'un individu qui reconduit et reproduit le monde qui l'entoure, pas d'un individu qui crée ou qui engendre quoique ce soit, et je pensais que peut-être, ce que m'enseignait l'innocence de cet homme, que pourtant je détestais et méprisais, c'était l'innocence de tous, l'innocence comme condition généralisée.
Qu'est-ce que cet homme me disait de la condition humaine ? En le regardant, je me disais qu'une fois seul il ne pourrait plus être violent.

L'idée est féconde, même si elle est assez lourdement exprimée : cf. la répétition inutile du mot innocent, les redites, les circonvolutions. Idem page 82, lorsqu'il évoque sa peur, enfant, que quelqu'un vienne prendre leurs meubles. Le jeu sur arriver est intéressant, mais l'expression trop insistante :

(Ça n'est jamais arrivé, mais ça n'arrêtait jamais d'arriver, au sens d'arriver vers nous, de s'approcher, au loin ou de près, jamais là mais toujours là, sans cesse dans la menace d'avenir.)

Déplorons encore l'usage de la répétition, signe d'impuissance littéraire, page 84 : "il m'a fallu vingt ans pour le comprendre et je suis désolé, je suis désolé". La langue très simple d'Edouard Louis rappelle le style Editions de Minuit, plutôt hélas dans ce que celles-ci produisent de moins bien. Les dialogues sont par endroits d'une indigence extrême. Page 115 :

Je lui ai demandé : - ça va ? Et elle a répondu : - Oui, oui, ça va.

Page 123 :

- Tu es contente ? - Tellement contente !

Franchement !... On bascule du côté obscur de la force, ou plutôt de l'absence de force... N'est pas Annie Ernaux dans Passion simple ni Marie-Hélène Lafon qui veut...

En un mot comme en cent, littérairement c'est assez faiblard. Alors bien sûr c'est fluide, ça se lit bien. Mais trop bien, trop vite, c'est là qu'est l'hic. Cette langue n'a pas la densité qui permet de creuser son sillon dans l'esprit du lecteur. Monique s'évade, tant mieux mais, je le crains, sans laisser de trace.

6,5

Jduvi
6
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le 26 déc. 2024

Critique lue 2 fois

Jduvi

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