Montagnes d'une vie de Walter Bonatti : une conception de l'héroïsme .

Les grands livres d'explorateurs ou sur des explorateurs tels La vie que j'ai choisie de Wilfred Thesiger , l'odyssée de l'Endurance de Ernest Schalckelton ou le Le Mermoz de Kessel m'ont toujours passionné par la force de l'expérience vécue transcrite en mots .


Le livre  de l'immense   alpiniste   Walter Bonatti n'échappe  pas à la règle  .  Nul  n'est besoin d'être alpiniste soi -même  pour  en     goûter   la saveur .   

Walter Bonatti a été le premier à gravir la face est du Grand Capucin à l'âge de vingt ans , il a participé à l'expédition au K2 au Pakistan en 1954 et à ouvert de nouvelles voies dont la Voie Bonatti dans les Drus .


Mais il y a plus que cela . Il illustre une certaine conception de l'héroïsme . Quand il parle ou qu'il écrit sur l'alpinisme , Bonatti ne le fait pas de façon matérialiste , ennuyeusement technique , il le fait en, mystique , en poète . Là où Mike Horn , aux aventures passionnantes par ailleurs , parle de " sortir de sa zone de confort" , Bonatti dit : " aller chercher le meilleur en soi" .


Avec Bonatti , il est question d'âme , d'élévation et ce ne sont pas des vains mots .
Nietszche a écrit dans" par delà le bien et le mal" : " l'âme noble a le respect de soi" . Bonatti

a une âme noble et son respect de soi est inséparable du respect des autres .


A l'époque de la prolifération des "petites stars médiatiques" , il peut être intéressant d'approcher à travers Bonatti la notion de héros . Qu'est-ce qu'un héros , sinon celui qui accomplit des exploits . Des actes hors du commun . Mais qu'est -ce qu'un exploit ?
Une simple performance ? Une vulgaire prouesse quantitative , à l'heure du rendement et de la productivité ?


Un exploit est une un acte d'une humanité extrême , qu'il y a faille souvent de la performance , de la virtuosité , au sens ou Vladimir Jankelevitch entend ce mot , sans doute , mais là n'est sans doute pas la finalité .


Dans cet exploit , il faut de l'élégance , non pas une parodie de style , mais une esthétique réelle . Bonatti n'a pas été que beau physiquement , y compris à soixante quinze ans passés , mais il n'a cessé d'agir de façon esthétique , avec une grande élégance morale .


Cette question du style et de l'esthétisme est souvent source de malentendus car on confond une espèce de cosmétique bas de gamme avec une esthétique réelle inséparable d'une forte personnalité .


On a toujours dit que Emil Zatopek , champion de course à pied avait un style horrible : il courait les coudes très hauts collés au corps en haletant , de même pour un autre champion olympique de course à pied l'écossais Eric Liddell : il "n'avait pas de style" . Ils avaient en fait un énorme style , mais on ne leur aurait certes pas demandé demandé de faire de la publicité pour des baskets Nike ou des rasoirs , comme on le fait avec certains joueurs de foot .


Dans Montagne d'une vie Bonatti raconte certaines ascensions d'une façon tellement vivante qu'on a l'impression d' y être .
On sait que comme les héros , il n'était pas conformiste et face à une difficulté inédite et redoutable sur la paroi , il savait très rapidement improviser une solution à la fois géniale dans sa conception tout autant qu'efficace dans sa réalisation .


Mais  il y a une  triste   affaire  : celle du K2  à laquelle il consacre      trente cinq pages , soit  dix pour cent    de son livre ,       au chapitre    quatrième   qui nous révèle  plus encore   sa   personnalité profonde . 

En 1954 , l'Italie organise une expédition dans le nord est du Pakistan dans le but de vaincre le sommet du K2 : le plus haut sommet de l'Himalaya . Une équipe est constituée après des tests d'efforts poussés et Bonatti , le plus jeune , âgé seulement de vingt quatre ans est sélectionné .


Le pays a connu plus de vingt ans de fascisme , il est vaincu , humilié et il n'a pas encore réalisé son miracle économique : la moitié des habitants du sud , n'ont pas exemple pas l'eau potable en 1954 .


Le prestige est donc très important .


Entre le camp de base et le sommet du K2 , il été prévu d'installer neufs camps , à des altitudes évidemment de plus en plus hautes .


Le drame va se nouer autour des derniers camps : le huitième et le neuvième , à plus de 8000 mètres , là où l'oxygène est tellement raréfié que des bouteilles sont indispensables , pour faire comme si on respirait à 6000 mètres quand on est à 2000 mètres plus haut .


Dans cette tragédie antique , on a deux salauds "Compagnoni et Lacedelli" et le héros Walter Bonatti .


Les deux salauds vont agir un peu comme dans ses films d'aventure où les chercheurs d'or deviennent fous et sont prêts à tout quand ils voient le trésor .


Lacedelli et Compagnoni sont entre le camp huit et le camp neuf et Bonatti et le Sherpa Mahdi sont plus bas et doivent leur apporter les indispensables bouteilles d'oxygène . Quand ils arrivent au camp VIII , les deux salauds n'ont pas respecté ce qui était convenu est sont partis tous seuls plus hauts et Mahdi est en grande difficulté . Il a besoin d'aide et surtout d'accéder à la tente plus haut .


  Bonatti et  Mahdi  partent à la recherche    de Lacedelli et Compagnoni dans des conditions effrayantes , car à cette  altitude  "il faut une demi heure pour enfiler ses bottes" , on n'y voit rien   et le vent  et les jets de   grésil  sont très  violents      .  
Les entendant enfin , les deux salauds refusent de les laisser monter et entrer dans leur tente et les laissent " découvert" par -25 °C quelques mètres plus bas , avec une forte probabilité de mort .
Bonatti malgré tout va leur laisser l'oxygène pour ne pas compromettre le succès de l'expédition et redescend comme il peut en sauvant Mahdi qui sera malgré tout amputé .

Parvenus au sommet , les deux salauds vont raconter ensuite qu'il n'ont pas eu besoin d'oxygène , qu'ils n'en n'avaient pas et qu'en plus Bonatti les a abandonnés .


Pendant plus de cinquante ans , Bonatti va être discrédité : il écrit dans un autre livre" cela marqua au fer rouge l'âme d'un jeune homme et déstabilisera son assiette spirituelle encore insuffisamment affermie" .


On voit que Bonatti n'est pas soucieux de " sa réputation" comme le serait un bourgeois , mais de son âme , comme peut l'être un aristocrate .


A l'inverse , Lacedelli et Compagnoni vont aller parader pendant toutes ces années sur les plateaux de télévision en enjolivant leur exploit et les médias et les guides officiels vont leur donner raison en 1954 et après car à cette époque , l'Italie a besoin de gloire . Il n'est donc pas pensable d' entacher l'exploit officiel .


Heureusement dans les années 1990 , un supporter de Bonatti qui n'y croit pas va enquêter , aller sur place et découvrir que Lacedelli et Compagnoni ont menti beaucoup de fois et notamment publier des photos où on voit très clairement qu'ils avaient , contrairement à ce qu'ils racontaient de l'oxygène au sommet .


Bonatti qui lui aura réalisé de très nombreux exploits depuis , sera malgré tout mollement réhabilité .


Souvent les tensions et les animosités , ne naissent pas au moment de l'acte fatal mais bien avant . Dans le film la piscine de Jacques Deray avec Romy Schneider , Alain Delon et Maurice Ronet ou dans le film de René Clément Plein Soleil avec les deux mêmes , la tension et la haines se créent peu à peu dans une ambiance de huis clos .


Or la montagne ,   pour ouverte qu'elle soit , n'interdit  pas le huis clos sartrien  ou  "l'enfer    c'est l'autre"  , surtout dans une vie en communauté  et dans des conditions  extrêmes .  

Bonatti raconte ainsi un fait précurseur page 80 , qui parle de lui même . Un matin alors qu'il est endormi dans sa tente , Lacedelli entre , le tire par son duvet et le jette "par jeu" dans la pente , Bonatti glisse hors de son duvet tout nu en dévalant la pente et se fait des blessures et contusions qui le rendent indisponible pendant dix jours .


Pour ne pas pénaliser Lacedelli , il décide de n'en rien dire , fait croire qu'il a mal au ventre et alors le salaud laisse croire qu'il a des "maux imaginaires" , lui collant aux yeux du groupe qui ne sait pas la vérité , un étiquette déplaisante ..


Il ne s'agit pas là tant de montrer la bassesse de l'un que de décrire la noblesse de l'autre ..


A partir de cette funeste expérience , Bonatti , qui dit avoir acquis beaucoup de confiance en soi avant 1954 , connaîtra "une crise existentielle" , et fera le plus souvent de l'alpinisme en solitaire , ou avec quelques compagnons éprouvés et choisis .


En 1965 , à donc seulement 35 ans , quand d'autres raccrochent les gants de boxe , ils raccrochera les crampons , et deviendra explorateur dans d'autres parties du monde telle l'Amazonie .

Créée

le 12 juil. 2019

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