Montana 1948
7.2
Montana 1948

livre de Larry Watson (1996)

Êtes-vous déjà allé en Haute-Marne ? Il y a fait un peu froid l’hiver, mais ça reste une très belle destination pour peu qu’on aime l’isolement, la nature et les corps de ferme à retaper. Or, à ma connaissance, aucun roman ne se passe à Chaumont ou sur le plateau de Langres. Encore moins trouvera-t-on sur une étagère un roman intitulé Haute-Marne ou Culmont-Chalindrey. Tandis que le Montana, c’est tout de suite plus trendy, il y a Rick Bass. Et Larry Watson, donc.
Je tiens Montana 1948 pour un de ces romans ni bons ni mauvais tels que les écrivains états-uniens savent les écrire, les traducteurs français les traduire et certaines maisons d’édition spécialisées les publier. Dans le meilleur des cas, on y trouve un personnage haut en couleur – ce n’est pas le cas ici – ou quelque événement marquant – il y en a deux ici, mais si peu inattendus…
Le narrateur raconte un de ses souvenirs : comment il apprit que son oncle, médecin renommé de la bourgade où vivait toute la famille, violait ses patientes indiennes. (Je ne divulgue pas grand-chose, tout figure en quatrième de couverture et dans les quinze premières pages, pour qui sait lire.) Ce que je reproche à Montana 1948, c’est de ne tirer parti d’aucun des enjeux que pose la situation – ni moraux, ni psychologiques, encore moins littéraires.


Ainsi pourrait-on croire que le narrateur est pris dans un dilemme, entre sens de la famille et intégrité, qu’il se fera cavalier blanc de l’une de l’autre. Il n’en est rien : non seulement il ne se fait cavalier blanc de rien du tout, mais il ne se bat pas. Remarquablement passif, absolument lisse, il n’a pas de quoi porter la moindre réflexion morale (1). Du reste, le jeune David, incroyablement chaste pour un garçon de douze ans, ne semble pas avoir de corps.
Les autres personnages ne sont pas plus ambigus, la plupart réduits à ce qu’au théâtre on appelait des emplois : Marie victime innocente, le père shérif placide, la mère sensible et garante du fonctionnement domestique, l’oncle en héros colonisateur qui se paie sur les corps conquis et n’a pas même le courage du cynisme, le grand-père patriarche – désolé, ça semble un pléonasme… De ces rôles définis, aucun ne sortira : le roman finit par ressembler à certains jeux vidéo de stratégie, dans lesquels c’est une intelligence artificielle qui détermine, à partir de données mathématiques, les actions des personnages – et ceux de Montana 1948 sont des PNJ.
De ce qui se passe dans leur tête, tout est développé, explicité, si bien que le lecteur n’a pas le moindre effort à faire. Ainsi, à un moment, le narrateur, qui en guise d’entraînement au tir vide sa carabine un peu partout dans la campagne, tue une pie. Alors il se sent obligé de préciser : « Les événements, les découvertes, les secrets des jours précédents – la maladie de Marie, les péchés d’Oncle Frank, la tension entre mon père et ma mère – avaient fait surgir en moi une sorte d’agressivité que je n’avais pu expulser qu’en tuant une pie perchée sur un pin » (p. 77). Sans blague ? Le lecteur n’aurait pas compris ça tout seul ?
Puis il en tire une conclusion que n’importe quel adulte sachant lire aurait déjà tirée : « En observant le regard mort de l’oiseau, je me rendais compte que les plus étranges relations auxquelles on ne pense pas – le sexe et la mort, le désir et la violence, l’envie et la déchéance – sont nichées là, oui, bien nichées au cœur même des âmes les plus pures ». Le décalage entre la maturité du narrateur devenu adulte et ses douze ans au moment des faits ? Jamais exploité, en-dehors de quelques lignes à la fin du livre qui n’apportent rien.
Quant au style, il s’inscrit dans la tradition de la littérature états-unienne dans laquelle tout doit être absolument clair et faciliter le travail du lecteur. Ça n’en fait pas pour autant un style pauvre, ni même vraiment plat. La langue de Montana 1948 n’a simplement rien de marquant, traduite tant bien que mal par un traducteur qui confond lancement et lancer (p. 24) – mais au moins cela donne-t-il un peu de relief à l’ensemble !


(1) Il y a quelques grands passifs dans la littérature : le Bartleby de Melville, l’Ignatius Reilly de Toole, l’Oblomov… Aucun ne figure dans un roman de cent cinquante pages et aucun n’est lisse ; remplacez le dernier et par la relation logique de votre choix.

Alcofribas
5
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le 11 févr. 2019

Critique lue 212 fois

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Alcofribas

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