Percival Everett, auteur multi-talentueux, n’utilise pas ici ses armes habituelles de l’humour et de la dérision brillante, mais nous manipule habilement sur la base de nos propres présuppositions (il est aussi un familier du procédé), dans cette «Montée aux enfers» («Assumption» pour le titre original), un roman de 2011 prestement traduit en français en 2012, pour la plus grande joie des lecteurs français fans de l’auteur dont je fais maintenant partie.

Ogden Walker, adjoint du shérif de La Plata, comté de péquenots bornés au Nouveau-Mexique, vit en célibataire dans un mobil home, est un aficionados de la pêche à la mouche, dîne très souvent chez sa mère et ne cesse de s’interroger sur la pertinence de sa vie – le métier qu’il exerce, l’endroit où il vit - à l’aulne de ce que, selon lui, son père aurait pensé s’il était encore en vie. Homme aux dehors placides, il est un enquêteur médiocre, mais, selon ses collègues, un «putain d’obstiné qui a le complexe du sauveur», un non-violent qui n’hésite pas à se jeter dans la mêlée, et à parcourir des milliers de kilomètres pour les besoins de son enquête.

Après le meurtre énigmatique d’une vieille femme, ce comté d’ordinaire si calme voit s’accumuler les meurtres non élucidés. Au fil des cadavres retrouvés dans la nature ou les coffres de voiture, un Ogden qui ne cesse de se demander s’il est un imposteur, s’éloigne en s’épuisant toujours davantage de sa base, et semble se rapprocher toujours plus de «la vidange de l’humanité».

À la fin, la seule certitude qui nous reste est l’état de la société américaine dépeinte ici (celle du sud des Etats-Unis), minée par le racisme et le délabrement économique et social, la difficulté d’y faire face sans péter les plombs ... et surtout le fait que Percival Everett nous a mené en bateau tout au long du récit.

Un livre à relire donc pour en prendre toute la mesure.

« Ogden entra dans ce qui avait été sa chambre lorsqu’il était enfant et s’étendit en travers du petit lit. Il voyait la table où il fabriquait ses mouches quand il était petit garçon, se souvenant comment il fallait se bagarrer avec les plumes et les crins au début. Même si c’était difficile, il savait qu’il y arriverait et il y était arrivé. Mais jamais il n’arriverait à rassembler les morceaux du puzzle, des corps, un manchot, une cousine disparue… Ça, il en était certain. »
MarianneL
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 10 mars 2013

Modifiée

le 10 mars 2013

Critique lue 267 fois

2 j'aime

MarianneL

Écrit par

Critique lue 267 fois

2

D'autres avis sur Montée aux enfers

Montée aux enfers
MarianneL
8

Critique de Montée aux enfers par MarianneL

Percival Everett, auteur multi-talentueux, n’utilise pas ici ses armes habituelles de l’humour et de la dérision brillante, mais nous manipule habilement sur la base de nos propres présuppositions...

le 10 mars 2013

2 j'aime

Du même critique

La Culture du narcissisme
MarianneL
8

Critique de La Culture du narcissisme par MarianneL

Publié initialement en 1979, cet essai passionnant de Christopher Lasch n’est pas du tout une analyse de plus de l’égocentrisme ou de l’égoïsme, mais une étude de la façon dont l’évolution de la...

le 29 déc. 2013

36 j'aime

4

La Fin de l'homme rouge
MarianneL
9

Illusions et désenchantement : L'exil intérieur des Russes après la chute de l'Union Soviétique.

«Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions. On vidait nos cœurs dans nos cuisines. On voulait une nouvelle Russie… Au bout de...

le 7 déc. 2013

35 j'aime

Culture de masse ou culture populaire ?
MarianneL
8

Un essai court et nécessaire d’un observateur particulièrement lucide des évolutions du capitalisme

«Aujourd’hui il ne suffit plus de transformer le monde ; avant tout il faut le préserver. Ensuite, nous pourrons le transformer, beaucoup, et même d’une façon révolutionnaire. Mais avant tout, nous...

le 24 mai 2013

32 j'aime

4