Morwenna
6.9
Morwenna

livre de Jo Walton (2011)

Un brillant roman sur l'adolescence et un hommage appuyé à la F&SF

Voilà un livre bien étrange qu’il paraît délicat de recommander au plus grand nombre, non pas qu’il soit mauvais ou traite d’un sujet qu’il serait préférable de cacher, non, rien de tout cela, mais Morwenna s’adresse avant tout aux amateurs de science-fiction et de fantasy les plus chevronnés. Et pourtant il n’y a pas l’ombre d’un robot ou d’un vaisseau spatial, pas plus que de Balrog ou de sorcier à la chevelure argentée car ce roman parle avant tout de lectures, celles qui ont jalonné l’existence de la jeune Morwenna, qui ont façonné son univers de jeune galloise et son imaginaire d’adolescente. Et pourtant de magie il est question, tout au long du récit, car elle imprègne ce roman, écrit à la manière d’un journal intime, de la première à la dernière ligne de manière singulière et subtile.


Morwenna a quinze ans, autrefois elle avait une soeur jumelle, morte dans un terrible accident de voiture qui l’a laissée elle-même en partie estropiée. Depuis elle ne se déplace plus qu’à l’aide d’une béquille et se tient éloignée de sa mère, car elle la soupçonne d’être une sorcière et d’avoir voulu la tuer. Désormais Morwenna vit auprès de son père, qu’elle n’a jamais vraiment connu et qui reste pour elle en partie un mystère. Cloîtré depuis son divorce dans son domaine à la frontière du Pays de Galles et de l’Angleterre, il semble se contenter d’une vie d’ermite fortuné, bien qu’il vive sous la férule de ses trois soeurs, des tantes dont Morwenna a du mal à cerner les intentions. Qu’importe puisque de toute façon, et sans que cela ne semble révolter outre-mesure son père, ces dernières ont décidé de l’envoyer dans une école pour riches héritiers. Quitte à partir loin de son Pays de Galles natal, Morwenna préfère finalement être en pension et échapper à l’oeil inquisiteur et à la sollicitude feinte de ces tantes qu’elle ne connaît finalement pas réellement, ayant grandi dans sa famille maternelle auprès de ses grands-parents. Au pensionnat, Morwenna fait quelque peu figure de vilain petit canard, son infirmité la met à l’écart d’un grand nombre d’activités sportives et son goût immodéré pour la lecture d’oeuvres de science-fiction lui vaut d’être considérée comme une fille étrange et peu fréquentable. Mais la jeune-fille n’en a cure et trace son chemin avec une patience et une obstination qui confinent au stoïcisme, car son univers est bien plus vaste que les locaux étriqués de l’école, son horizon va bien au-delà des mornes collines anglaises pour embrasser des milliers de mondes différents, ceux imaginés par des auteurs aussi fantastiques que Zelazny, Brunner, Asimov, Silverberg, ou bien encore Tolkien. Mais les êtres magiques et mystérieux ne peuplent pas que son imagination car Morwenna pratique un peu la magie, qu’elle voit dans toutes choses du quotidien. Au détour d’un chemin, à l’ombre d’un vieil arbre, dans les ruines d’une grange abandonnée, dans les roseaux humides d’un étang, de petits êtres fabuleux qu’elle nomme “fées”se manifestent à son intention. Tantôt biscornus tantôt diaphanes, grands, petits, beaux ou au contraires laids comme des trolls, chacun a ses spécificités et communique avec Morwenna dans un langage inconnu du commun des mortels. Les fées sont ses alliées et l’aident à se défendre contre les obscurs maléfices lancés par sa mère, qui tente de l’atteindre malgré la distance, elles l’aident également à entrer en communication avec sa soeur, dont le fantôme erre encore entre deux mondes. Mais Morwenna n’use que modérément de sa magie et seulement dans les cas d’urgence extrême.


Fascinant roman sur l’adolescence dans lequel, on l’imagine, Jo Walton a mis beaucoup d’elle-même, Morwenna est un pur ovni littéraire. C’est un roman à la fois très personnel et profondément humain, mais sa portée universelle ne paraîtra pas évidente à tout un chacun en raison des nombreuses références à la culture F&SF qui émaillent le récit. Et pourtant le personnage de Morwenna est incroyablement touchant dans sa singularité, ce n’est pas tant son infirmité qui émeut que sa profonde différence, sa solitude et le décalage par rapport aux autres adolescents de son âge. Morwenna est une sorte de nerd au féminin, brillante dans de nombreux domaines, incroyablement fine et intelligente, capable de réflexions d’une grande profondeur, mais totalement immergée dans son monde ; au point de faire douter le lecteur. Morwenna possède-t-elle réellement des pouvoirs magiques ou bien n’est-elle qu’une adolescente un peu rêveuse qui confond son imaginaire avec la réalité ? Subtilement suggéré, cet univers magique n’en est que plus fascinant encore, rappelant les meilleurs moments des romans de Robert Holdstock ou de Lord Dunsany. Brillant, tout simplement !

EmmanuelLorenzi
8
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le 12 avr. 2019

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