dès les premières lignes, “murène” nous éclate en pleine figure. Il y a le style, l’histoire comme autant de grenades qui nous explosent à la gueule. Nous voici déchiqueté, phagocyté, démembré…tiens, comme le héros de ce roman : François Sandre.
Plonger dans cet ouvrage n’est pas innocent. Il faut être prêt. Ça ne se lit pas à la légère. Car l’écriture ne l’est pas. Elle est chirurgicale. Rien n’est laissé au hasard. Il y a ici, exactitude, rigueur, dextérité, habilité, adresse, ingéniosité avec, dans ce monde de brutalités, une pincée de délicatesse et de tendresse (c’est votre touche. Je suis sûr que quelques enfants d’Hanoï gardent en souvenirs, la pétillante, joyeuse et souriante Valentine Goby).
Tout est raconté avec force et précision. C’est la classe de l’auteur(e), pardon de l’autrice car je sais que vous préférez ce terme. La force donc, d’être multiple. Je veux dire en cela qu’à travers les pages vous êtes tantôt spécialiste des amputations supérieures (au niveau de l’épaule), aide-soignante dans un centre de rééducation. L’un(e) des précurseurs des appareillages métalliques (extension des corps). Vous êtes maître-nageur(se) l’œil rivé au chronomètre, maître du temps et des performances. Vous nous racontez les balbutiements du sport paralympique. Il faut tout inventer (nous sommes dans les années 50). Les structures, les organisations, les entraînements, les règles. Ça devrait plaire à mon ami Michaël Jérémiaz. On ne doute pas à vous lire le travail fournit en amont pour un tel exercice. C’est évidemment bluffant.
Mais le travail ne suffit pas. Il faut l’étincelle, l’inspiration. Quelle douce idée vous avez eue de faire naître François dans un atelier de couture. Où sont désordonnés, mais debout, des mannequins “Stockman”. Ces semi-hommes, ces semi-formes. Immobiles et nus. François, votre personnage devient l’un deux. Un semi-homme, une semi-forme. Comme au royaume des doubles amputés des membres supérieurs, le manchot est Roi. Au royaume des mannequins “Stockman”, l’homme doué de paroles, de volonté, de convictions et de mobilité est Dieu.
Oui il faut se faire à l’idée que les membres ne repoussent pas. Qu’ici pas de bras, pas de chez soi. L’inévitable dépendance comme éternelle souffrance. Mais soit loué la résilience. Tiens me vient à l’esprit Philippe Croizon. Pourquoi “Murène” ? Parce que de l’animal disgracieux l’espoir est né. On ne répare pas les corps par le sport, l’on s’en sert de survivance. Pour François se sera donc la natation. Tu es venu des eaux, tu retourneras à l’eau. Matière liquide où les corps en parties “allégés”, semblent voler, comme en apesanteur. C’est sans doute apaisant, du moins je l’imagine.
Je le disais plus haut, il faut être prêt, car le récit touche à l’intime. Il nous pousse parfois dans nos retranchements. Nous sommes gênés. Il remet en cause, notre relation à l’invalidité. Et c’est tant mieux. Et à la fin ? A la fin il y a…le soleil levant !
Chère Valentine Goby, merci !
Sébastien Beaujault
“Murène”
Valentine Goby
Éditions Acte Sud