En 1956, un accident laisse François pour mort. Contre toute attente et après un long comas, le jeune homme de vingt-deux ans survit. Mais il est grièvement brûlé et a dû être désarticulé des deux épaules. A la torture de la douleur s’ajoute celle d’une vie à réinventer, malgré le refus de soi et le regard d’autrui, dans l’humiliation de la dépendance et de mille renoncements quotidiens. A cette époque, les possibilités d’appareillage sont extrêmement limitées pour son cas. C’est dans le sport, plus précisément la natation, que François va progressivement retrouver l’estime de soi et le goût de vivre.
Le sujet est grave et ne peut laisser de marbre. Symbolisé avec force par l’image du mannequin Stockman sans épaules, le thème de l’infirmité physique est ici exploré posément et sans pathos, au travers d’un personnage fictif d’un parfait réalisme et d’une lumineuse humanité. Ce livre est d’abord le portrait bouleversant, tout en nuances et sans la moindre complaisance, d’un être dépossédé de ce qui faisait sa vie, son identité sociale et sa dignité humaine, en même temps que de son intégrité corporelle et de ses capacités physiques. Infirme, François sort de la sphère qui était la sienne, pour se retrouver marginalisé sur un bas-côté de la vie. A peine s’il se sent encore considéré comme un humain à part entière, tant seule sa différence tend à le définir dans les regards portés sur lui.
Lorsque François se met en tête d’apprendre à nager sans bras à la fin des années cinquante, personne n’imagine alors que le sport, la compétition et l’exploit puissent être du ressort de personnes estropiées. Son parcours du combattant est l’occasion de retracer l’émergence du handisport et la création des jeux paralympiques, dans une intéressante rétrospective historique qui fait prendre conscience du chemin parcouru depuis. C’est d’ailleurs la médaille d’or et le record mondial du nageur chinois sans bras Tao Zheng, en 2016, qui a servi de déclic à l’écriture de ce roman, clairement sous-tendu par une documentation approfondie.
Ce livre plein d’empathie et d’une grande beauté d’écriture est un magnifique hommage à toutes les personnes souffrant d’infirmités et aux extraordinaires capacités de résilience dont l’espèce humaine sait faire preuve. Si la science n’a pas fini de faire progresser chirurgie et appareillages, du chemin peut aussi être encore parcouru dans l’acceptation et l’oubli de la différence. Alors que la malchance ou la fatalité contraignent certains d’entre nous à faire face au handicap ou à l’infirmité, l’obstacle supplémentaire de la discrimination et de la dévalorisation ne devrait jamais venir alourdir le destin.
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