Raoul Girardet est un historien, ancien membre de l'Action française et de l'OAS, il a été un militant très impliqué à l'extrême droite mais reste tout de même intéressant et lucide dans ses analyses historiques. En effet, il fait partie de ces historiens de l'Action française mais qui ne sont pas controversés car reconnus dans leur milieu, à l'instar de Philippe Ariès ou Pierre Gaxotte, ayant été des militants actifs mais qui n'en restent pas moins des universitaires et historiens rigoureux. Contrairement à Jacques Bainville qui n'a pas de notoriété universitaire.
Je pense que ce livre Mythes et mythologies politiques est un des plus essentiels si l'on veut comprendre l'histoire de la pensée politique. Girardet fournit une synthèse brillante de toutes les formes d'illusions politiques que les groupuscules adoptent sans vergogne. En prenant notamment des exemples d'un milieu qu'il connaît particulièrement bien, qui sont les milieux de droite mais aussi de la pensée générale de la France à l'époque contemporaines ces deux derniers siècles.
Ces illusions s'articulent autour de quatre mythes récurrents : la Conspiration, le Sauveur, l'Age d'or et l'Unité.
La Conspiration, on l'a connait tous. Girardet, révèle le caractère très ancré à l'antisémitisme de la Conspiration à son époque et celle qui a suivie la Révolution française, avec les Protocoles des Sages de Sion et les récits de l'abbé Barruel.
Une explicitation également du Sauveur, l'homme-providentiel, le héros, l'homme du moment. Napoléon Bonaparte, le général Boulanger, Philippe Pétain, Charles de Gaulle. Cette partie est intéressante puisqu'elle est la plus proche livre de la thèse générale du livre qui est que les mythes ressurgissent toujours en temps de crise. Le caractère mythologique des personnages politiques est parfaitement bien mis en lumière. Hérité de nos racines chrétiennes, ce mythe suppose, en politique du moins, qu'il existe à des moments clefs de l'histoire des grands hommes appelés à diriger le pays. Le dernier que nous ayons en tête est le Général De Gaulle, l'homme du 18 Juin 1940, l'homme de la Ve République, celui qui s'est offert à la France lorsqu'elle se montrait en grande difficulté avec l'invasion allemande puis la guerre civile franco-algérienne. Depuis, nous n'avons de cesse d'avoir des responsables politiques qui cherchent à se mettre soit dans son ombre, soit en contradiction volontaire. Il semble indéniable que c'est le contexte historique qui met en avant les grands hommes.
Le meneur d'homme s'approche plus de la caractéristique du Sauveur que le simple "chef". Le meneur d'homme s'expose et partage le sort de ses hommes quand le patron se protège et se construit un destin unique et différent de celui du groupe. Ainsi, si le meneur a le potentiel pour devenir "l'homme providentiel", le patron a le potentiel pour devenir le contraire. C'est à dire le tyran, celui qui exploitera ses semblables sans se soucier de leur sort. Pour illustrer par un exemple, si De Gaulle était un meneur d'homme qui a fait qu'il put devenir un "homme providentiel", Pétain était un patron qui s'est révélé devenir un tyran. Aujourd'hui, il n'y a pas de meneurs d'hommes dans les hautes sphères de la politique, il n'y a que des patrons.
L'aspect messianique de l'Unité est sans doute le critère qui touche le plus de monde au niveau politique, celui qui touche le plus de courants. Principalement collectivistes.
Girardet décrit le regret de l'Âge d'or comme un des 4 piliers de la mythologie politique (avec la Conspiration, l'Unité, et le Sauveur). Évidemment, l'Âge d'or en question varie bien sur selon les catégories sociales, l'époque, l'appartenance politique etc. Il n'y a pas que l'extrême-droite qui est touché par ce phénomène d'Âge d'or, mais également les socialistes/communistes. Qui n'est pas forcément à confondre avec la réaction. La réaction c'est quelque chose de plus précis, qui emprunte très souvent au mythe de l'Âge d'or, qui se définit avant tout par le retour à un ordre social (hiérarchisé) considéré comme naturel/immémorial.
Ce n'est pas la même chose que le retour à l'Âge d'or (très présent chez les socialistes utopiques par exemple) même si ça peut parfois se confondre.
Avoir des modèles ou idéaliser des expériences passés, ce n'est pas être réactionnaire, à moins d'en avoir une définition attrape-tout, sinon les communistes seraient réactionnaires en faisant référence à 1917, les anarchistes à juillet 36, Marx en parlant des jacqueries allemandes etc.
C'est surtout que pour les réactionnaires la hiérarchie sociale à un instant T est considérée comme naturelle/immémoriale et donc bonne. Tout changement dans cette hiérarchie, ce qui peut arriver (on l'a vu pas mal de fois au cours de l'histoire) constitue donc une violation de l'ordre naturel qu'il convient d'effacer.
Le livre permet notamment de comprendre que la réalité politique est plus complexe qu'on ne le croit. Comme le fait, en rapport avec le mythe de l'Âge d'or, on pense que la droite originelle se réfère à la tradition, et la gauche originelle au progrès, mais que les choses se sont complexifiées depuis. C'est une des possibles définitions du clivage droite/gauche en histoire des idées.
C'est ce que Boris Dewiel appelle Athènes VS Jerusalem. La droite serait l'héritière de la vision grecque du monde avec un ordre social dans lequel l'individu doit s'insérer sans le questionner sous peine de s'attirer la colère divine alors que la gauche serait l'héritière d'une vision du monde chrétienne (celle des premiers chrétiens au moins) qui prétendait justement rompre avec l'ordre social existant pour en créer un plus juste.
On peut aussi prendre le cas de la Révolution française. Après la Révolution française, les autoproclamés députés de l'Assemblés s'habillaient en toge et portaient le glaive au lieu du sabre et l'emblème institutionnel royal, la fleur de lys, a été remplacé par le faisceau de licteur, référence à la Rome antique et à son système juridique. A contrario c'est bien Hippolyte Taine qui pensait que le venin à l'origine de la mort de l'Ancien régime n'était pas le pur produit des Lumières, mais le résultat de leur mélange avec le classicisme et son exaltation des Anciens. Un exemple comme un autre.
Tout ceci n'est pas vraiment dans le livre, évidemment,mais ce sont des exemples qui illustrent bien le contenu.
Je recommande le lecture de cet ouvrage très facile à lire et plutôt court. Une lecture qui me semble absolument essentielle pour quiconque souhaite s'introduire à l'histoire de la pensée politique. Comprendre des mythes qui existent encore à l'heure actuelle, mais qui évoluent sous différentes formes et qui selon sont tous partagés par la gauche aujourd'hui.