L'étude de Luc Ferry sur les rapports entre mythologie et philosophie grecques est un chef-d'œuvre que je recommande vivement. Tout d'abord le style littéraire est très agréable et nous change des traités secs et arides publiés sur le même thème. On perçoit l'art pédagogique de l'excellent professeur que fut Luc Ferry, cette même pédagogie que l'on retrouve au passage dans sa présentation des grands philosophes disponible en CD chez Frémeaux (pour découvrir Descartes, Spinoza, Kant, Hegel, Schopenhauer, Nietzche etc). Ce livre est en premier lieu une initiation passionnante à la mythologie grecque qui dépasse de loin les habituels manuels ou dictionnaires de mythologie. Car le récit est vivant et pas seulement descriptif. Mais le génie de Ferry est de montrer comment ces grands mythes étaient déjà porteurs du questionnement philosophique de la Grèce antique. Dans les cours de philo de terminale, il est fréquent d'entendre dire que la philosophie (logos) est née en opposition et en rupture avec la religion et ses mythes (mythos). Ce n'est qu'en partie vrai. Car il s'agit aussi de voir la continuité et pas seulement la rupture. Ferry parle à juste titre dans sa conclusion de laïcisation ou de sécularisation de l'univers religieux des anciens Grecs avec l'avènement des premiers philosophes qui étaient aussi des physiciens et qui ne pouvaient donc pas ignorer l'importance cosmologique des mythes. Ferry met en valeur d'une manière admirable et précise deux grands thèmes, des fils rouges, de la mythologie: l'ordre cosmique dont Zeus est le garant d'une part, et l'hybris, le péché par excellence dans cet univers grec, celui de la démesure et de l'arrogance des humains créés par Prométhée qui, en leur donnant le feu et les techniques, les rend capables de bouleverser l'ordre cosmique voulu par les Olympiens. Ferry n'en reste donc pas au sens superficiel des mythes (je pense par exemple à celui de Midas) mais, grâce à ces clés de lecture essentielles, il nous en montre la signification profonde. Le chapitre 12 sur Dionysos, "l'altérité au sein du cosmos", le dieu étrange au sein de l'Olympe, est particulièrement intéressant. Les chapitres consacrés à Œdipe et Antigone sont excellents, et l'analyse du tragique grec est d'une grande précision et apporte beaucoup de lumière à qui veut comprendre ces mythes. Enfin les chapitres 16 à 18 sont thématiques: autour de la mort (Sisyphe et Asclépios), au tour de l'amour (Orphée, Eurydice, Eros, Déméter) et autour de l' Hybris (orgueil, démesure, arrogance des mortels avec Tantale, Dédale, Lycaon, Icare et Phaéton). Bref un livre génial du début à la fin, une référence claire et solide pour qui veut s'initier à ces questions antiques et toujours très actuelles. Merci Monsieur Ferry pour nous avoir fait le cadeau de votre grande érudition, de la finesse de vos analyses et de votre pédagogie sans pareille.