De La Laitière de Vermeer jusqu'aux yaourts du même nom, il y a une histoire, celle d'un capitalisme désirant. Prenons les petits pots La Laitière (riz au lait, crème vanille, crème citron, crème brûlée, semoule), sur un quart de ceux-ci la toile de Vermeer est représentée, c'est également l'emblème de la marque. Si nous procédons a une sémiologie du tableau original, et que nous le comparons à celle de sa miniature commerciale, nous découvrirons bien des choses. En partie, que la marque appartenant à Nestlé, s'inspire du geste artistique d'un grand peintre de l'école hollandaise pour vendre ses produits. En partie, que la peinture originale représente une laitière versant du lait au fond d'un pot. Celui-là a une texture crémeuse, la patine des couleurs renforce la beauté de la scène de genre, le jaune du buste s'harmonisant avec le bleu de la robe. Ce qu'elle représente ? L'accomplissement du geste parfait, source de purgation des passions, de sérénité dans le travail bien fait. Le tableau consacre un sujet trivial en l'élevant au rang de chef d'œuvre pictural. La marque, en récupérant à son compte ce dernier, laisse planer un doute sur la nature de sa production. Tout le monde sait que Nestlé est un géant de l'industrie agroalimentaire, pourtant, et c'est là que la pensée magique intervient, l'emblème des produits La Laitière suggère l'idée qu'ils seraient issus d'un mode de production artisanal. Du moins, que l'industrie agroalimentaire est capable de faire -aussi bien- qu'un yaourt artisanal du XVIIeme siècle, et plus encore, aussi bien se placer d'égal à égal avec une toile de maitre. De la rivalité entre ce que représente l'œuvre et ce que représente un article de panier, disponible en grande surface, naît l'ambiguïté affective dont les consommateurs sont la cible. Le tableau est une image familière, celle d'une Madonne des produits laitiers, confectionnant amoureusement ses petits pots de yaourt, vague réminiscence de la mère nourricière en train d'allaiter ses enfants. Par la chaleur de son symbolisme, la multinationale capitalise sur l'image de marque d'un grand maître que tout, hormis l'analogie paradoxale, dont elle instrumentalise les ressorts, oppose au mode de production capitaliste de cette dernière.
On ne m'enlèvera pas de l'idée que la multinationale française, en capitalisant sur l'oeuvre d'un peintre hollandais mondialement célèbre, avait en tête le proverbe "vouloir le beurre, l'argent du beurre et la crémière" et qu'une curieuse ironie réside dans le fait d'acheter des yaourts dont on achète en même temps un tableau représentant un fantasme.