Belle peinture.
D'après moi, un livre c'est une rencontre et comme le disait Marcel Proust « La lecture est une amitié. ». Si j'avais essayé de lire ce livre il y a un an je suis persuadée qu'il ne m'aurait pas...
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le 23 juin 2012
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Il y a deux manières de lire ce livre : pour lui-même, et comme un maillon de la saga des Rougon-Macquart à placer entre L'assommoir (enfance malheureuse entre deux parents qui sombrent dans l'alcoolisme) et le méconnu La Débâcle, Nana se terminant sur la déclaration de guerre à la Prusse et les cris "A Berlin ! A Berlin !". J'ai la chance d'avoir lu l'un et l'autre il y a peu de temps.
Le roman suit l'ascension d'une cocotte qui ruine les hommes, il y a beaucoup de personnages masculins, qui sont autant de pantins émasculés, en adoration devant la féminité de cette fleur de pavé assez vulgaire qu'est Nana. On commence par la première d'une pièce de théâtre, la Vénus blonde, où Bordenave, patron du théâtre de la gaieté, lance une petite jeune. On le voit recevoir deux amis, Fauchery, un plumitif, et son cousin venu de la province, La Faloise. Le public est fasciné par Nana, qui n'a aucun talent mais pose quasi nue sur scène (chap. 1). Elle s'est arrachée récemment à la rue, et fait encore parfois des passes pour Mme Tricon pour payer ses fournisseurs (chap. 2). Elle donne chez elle un souper, exemple de soirée parisienne décadente, où l'on casse des bouteilles de champagne dans un piano (chap. 3-4). Elle a une aventure avec le prince Charles d'Ecosse (chap. 5). Elle se met à la colle avec un banquier juif, Steiner, qui lui offre une maison de campagne où elle se réfugie, et connaît un bref enchantement. Beaucoup de prétendants viennent la retrouver dans sa demeure : elle s'éprend d'un gamin, Georges, dit Zizi, fils d'une brave bourgeoise qui habite non loin, mais finit par coucher avec le comte Muffat, un vieux cul-bénit riche, chambellan de l'empereur (chap. 6). Le comte est cocu, et Nana finit par le lui apprendre, d'autant qu'elle s'est entichée d'un acteur comique, Fontan. Les deux époux qui ont découché se croisent le matin (chap. 7). Nana plaque le théâtre et vit à la colle avec Fontant, qui commence cependant à la battre et à prendre son argent. Pour le nourrir, elle se prostitue et plus il la frappe, plus elle l'aime. Il finit par la mettre dehors. Nana se réfugie chez une souillon qui gravitait autour du théâtre, Satin, mais elles manquent de se faire arrêter (chap. 8). Nana reconquiert Muffat lors d'une entrevue au théâtre. Muffat lui promet un hôtel particulier, tout ce qu'elle voudra, mais elle exige aussi le premier rôle de la nouvelle pièce de Bordenave, la petite Duchesse. Sa rivale, Rose, enrage, mais la pièce est un échec, car Nana n'a aucun talent (chap. 9). Elle se rabat sur le métier de femme du monde, et on entre dès lors dans une deuxième partie du roman, celui des hommes que Nana va ruiner. Son hôtel particulier déborde du luxe le plus raffiné, tenu par sa camériste Zoé. Elle ne tient pas ses promesses de fidélité à Muffat, et retrouve dans la rue Satin, qui la convertit au saphisme (chap. 10). On suit la fin de Vandeuvre, un aristo fin de race pressé de se ruiner, qui mise tout sur une manipulation lors du Grand Prix de Paris au bois de Boulogne, où il présente deux chevaux, dont l'un, Nana, gagne contre toute attente. Il brûle avec son écurie (à moins que ce ne soit une mise en scène) (chap. 11). On assiste aussi au mariage d'un ancien amant, le vibrillonnant Daguenet, avec la fille de Muffat, qui sait pourtant à qui il a affaire, mais cède tout à Nana. Daguenet couche avec Nana avant d'aller honorer son épouse (chap. 12). Enfin, c'est l'agonie de sa relation avec Muffat, qu'elle humilie jusque dans l'alcôve avec des pratiques assez "cuir", mais qui décide de rompre lorsqu'il la surprend avec le comte Chouard, une sorte de momie d'Empire. Et puis tout lâche en quelques mois : le jeune Georges tente de se suicider, Philippe, son frère, est emprisonné pour tripotages, Zoé décide de rendre son tablier pour reprendre l'affaire de Mme Tricon (Chap. 13). Nana disparaît, vend tout, part à l'étranger après avoir fait une dernière apparition au théâtre, des légendes courent sur elle. Et brusquement, tout le monde se retrouve à son lit de mort : alors que la guerre vient d'être déclarée, elle est revenue à Paris, pour mourir de la petite vérole, que son fils rachitique lui a refilé (chap. 14).
Nana n'est pas mon Zola préféré, loin de là, bien que le livre ait ses qualités propres. Le livre baigne dans le glamour décadent de la fin du Second Empire : les scènes de coulisse, dans la première moitié, font penser aux toiles de Degas, et l'auteur joue beaucoup sur la dualité beauté physique/saleté morale, gloire/décadence, pour brosser un tableau d'une société à bout de souffle, qui croule sous la superficialité. Le début est tout de même assez laborieux, car il y a beaucoup de personnages différents, que l'on voit surtout faire les commères les uns sur les autres, ou beaucoup de descriptions de scénographie théâtrale, etc... Du théâtre, pourtant, on ne verra pas grand-chose, Zola s'étant focalisé cette fois moins sur un lieu que sur les histoires de coucherie, qui ont quelque chose de répétitif, à la longue. Le saphisme est montré comme une marque de décadence, c'est à ça qu'on voit que Zola est tout de même bourgeois par certains aspects. L'intrigue déçoit tout de même un peu, pas beaucoup de surprise, et tous les fils se dénouent un peu en même temps. Le chapitre final est fort bon, on comprend qu'il ait impressionné Flaubert, mais il semble détaché du reste. Zola, rappelons-le, a été pris par surprise par la guerre de 70, il avait prévu que L'Empire mourrait un peu plus tard et a donc dû condenser un peu la biographie de ses personnages.
Restent les personnages, à commencer par celui de cette femme, bête et égoïste, et que Fauchery compare avec raison à une mouche venue de l'égoût qui colporte ses microbes dans les salons dorés, et de son double, cette femme délaissée, Sabine Muffat, qui s'avilit également pour se consoler de la perte d'un mari qu'elle n'aimait même pas. Le point important, c'est que Nana n'est pas un personnage malfaisant, et elle déteste l'argent : elle profite de la faiblesse de ces riches, qui lui sacrifient tout. Evidemment, cela rappelle des personnages comme Valérie Marneffe chez Balzac. Tout de même, ces chapitres finaux où elle gâche littéralement tout ce qu'on met à ses pieds m'ont finalement davantage révolté que les connivences entre cocus. Il y a aussi le personnage de Vandeuvre, ce flambeur aux pulsions suicidaires. Ou de Zoé, cette mouche du coche, qui sauve plusieurs fois la mise à Madame, mais fait aussi parfois fond sur les disputes pour récupérer les restes.
C'est un ouvrage qui parle plus de désir que de sexe, au fond. Je suis intrigué, mais pas non plus follement surpris, qu'il plaise beaucoup aux jeunes femmes qui l'ont lu, mais pour aussi bien composé qu'il soit, ce n'est clairement pas le Zola qui m'a le plus intéressé. Question de choix du sujet.
Créée
le 13 oct. 2015
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