Napoléon
7.8
Napoléon

livre de Honoré de Balzac (1842)

Ce petit ouvrage d’Honoré de Balzac, ce Napoléon des lettres, qui a fait par la plume ce que l’Empereur a fait par l’épée, est tout simplement un météore d’intelligence, destiné à éclairer les siècles. Le nôtre compris.


Le livre se divise en deux parties : une biographie romancée de la vie de l’Empereur, directement tirée du chapitre III du roman Médecin de Campagne (1833), intitulé « Le Napoléon du peuple », soit l’« Histoire de Napoléon racontée dans une grange par un vieux soldat », puis — l’essentiel — un recueil des Maximes et pensées de Napoléon (1838), publié sous le nom de Jean-Louis Gaudy, un bonnetier, mais auquel Balzac avait en vérité vendu le fruit de son travail.


Dans la première partie, un personnage de soldat, nommé Goguelat, raconte à l’occasion d’une veillée, dans une grange, au-dessus d'une petite assemblée, parmi les bottes de foin, la vie, le destin de l’Empereur. Son récit, emprunt du parler et de sa gouaille de grognard, retrace de façon lumineuse et imagée, comme un mirage, presque une vision, toute l’épopée napoléonienne : la Corse, la France, l’Italie, l’Égypte, l’Europe, la Russie — jusqu’à l’Île d’Elbe, Waterloo, et Sainte-Hélène. Un récit brillant, à la fois épique, poétique, apologétique, nostalgique et tragique, à la gloire immortelle de la France et de Napoléon, l'Empereur des Français.


[Vous] n’ignorez pas que le Français est né philosophe, et, un peu plus tôt, un peu plus tard, sait qu’il faut mourir. Aussi nous mourions tous sans rien dire, parce qu’on avait le plaisir de voir l’empereur faire ça sur les géographies. (Là, le fantassin décrivit lestement un rond avec son pied sur l’aire de la grange.) Et il disait : « Ça, ce sera un royaume ! » et c’était un royaume. Quel bon temps ! Les colonels passaient généraux, le temps de les voir ; les généraux maréchaux, les maréchaux rois. […] Moi qui vous parle, j’ai vu à Paris onze rois et un peuple de princes qui entouraient Napoléon, comme les rayons du soleil ! […] Et y en avait-il de ces batailles ! Austerlitz, où l’armée a manœuvré comme à la parade ; Eylau, où l’on a noyé les Russes dans un lac, comme si Napoléon avait soufflé dessus ; Wagram, où l’on s’est battu trois jours sans bouder. Enfin, y en avait autant que de saints au calendrier. Aussi alors fut-il prouvé que Napoléon possédait dans son fourreau la véritable épée de Dieu.

La deuxième partie du livre, tout à fait différente, mais non moins éblouissante, est donc un recueil des Maximes et pensées de Napoléon, précieusement collectées dans divers ouvrages et d’après diverses sources par Balzac lui-même, dont on ne peut pas remettre en doute la clairvoyance en matière de style ou de traits d’esprit ; autrement dit, les citations choisies sont, sur les plans intellectuel et littéraire, parmi les plus éclatantes :

Chaque heure de temps perdu dans la jeunesse est une chance de malheur pour l’avenir.
Une belle femme plaît aux yeux, une bonne femme plaît au cœur ; l’une est un bijou, l’autre est un trésor.
L'homme supérieur n'est sur le chemin de personne.

Les citations (au nombre de 525) se rangent en quatre catégories : la première, regroupant les maximes de Bonaparte, antérieures au 18-brumaire ; la deuxième, regroupant celles de Napoléon liées à l’art militaire ; la troisième, regroupant celles de l’Empereur liées au pouvoir politique ; la quatrième et dernière, regroupant celles du Prométhée des temps modernes, en exil à Sainte-Hélène. S’ensuit enfin, en appendice, comme un baroud d’honneur du captif des Anglais, une page de Napoléon, « Sur lord Castlereagh », où celui-ci, avec une lucidité et une prescience sans pareilles, observe, explique, juge et condamne la malfaisance des plus éminents chefs de la Perfide Albion, non seulement responsables du malheur de leur patrie, mais encore celui de l’Europe, et d’abord et surtout celui de la France.


Toujours est-il, le génie de cette œuvre, qui est celui de Napoléon, avant d’être celui de Balzac, repose essentiellement dans les maximes, qui sont autant de vérités générales, éclairantes comme des révélations. Elles ne sont pas seulement le reflet des idées de Napoléon, de l'homme, du militaire ou du politique ; elles peuvent bien sûr l’être parfois ; mais elles sont tellement plus que cela : les maximes de Napoléon sont des Évangiles de la pensée, qui font jour sur le passé, jour sur le présent et jour sur l’avenir :

On gouverne mieux les hommes par leurs vices que par leurs vertus.
Quand on règne, on doit gouverner avec la tête, jamais avec le cœur.
Il n’y aura jamais de révolution sociale sans terreur.

Cet ouvrage est enfin, pour qui voit au-delà du simple « livre sur Napoléon », une clef de lecture de notre époque : car, en parcourant ces citations, on en vient à comprendre, avec l’évidence des prédictions, toute la splendide médiocrité de notre société, éloignée, depuis bien longtemps, des Maximes et pensées de Napoléon :

Opprimer les masses et laisser la plus grande liberté aux individus sera le secret des gouvernements qui me succéderont : l’égoïsme est le seul mobile actuel. J’ai péri pour avoir tenté de faire le bien des masses en leur sacrifiant l’individu.

Tout est dit.

Lapineon
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le 12 déc. 2022

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