Le scénario de Tueurs nés est le premier que je lis en entier ; ça ne m’intéresserait pas de lire un texte qui aurait été fidèlement transposé en film, mais ce script de Tarantino a considérablement changé avant de devenir un film d’Oliver Stone.
Tueurs nés est le second scénario du réalisateur de Pulp fiction, et tout comme le premier, True romance, il n’a pas réussi à le tourner, ce qui l’a amené à faire Reservoir dogs à la place.
Le scénario ayant été vendu à Warner Bros, il a fini entre les mains d’Oliver Stone, et une fois le film sorti, Tarantino a fait savoir qu’il le détestait, qu’il n’avait rien à voir avec ce qu’il avait écrit, allant jusqu’à dire que si l’on aime son travail, il ne fallait pas voir cette adaptation.


Étant fan du film, et autrefois de Tarantino, ça fait bien une dizaine d’années que j’étais curieux de lire le scénario original.
Le début est pratiquement le même : toute la séquence dans le diner, suivie d’une escapade en voiture durant le générique de début, puis les deux œuvres divergent beaucoup.
Mickey et Mallory se retrouvent direct en prison après cette intro, et pendant un long moment, on ne suit plus les deux tueurs, on assiste à un épisode d’American Maniacs (la fausse émission dédiée aux serial killers), composé d’interviews et d’images d’archives qui retracent le parcours du couple meurtrier, ainsi que d’extraits d’un film basé sur leurs méfaits.
C’est trop long à mon goût, mais les témoignages offrent quelques remarques analytiques intéressantes sur les deux tueurs : ils tuent l’un pour l’autre, s’offrant mutuellement des meurtres comme d’autres couples offriraient des fleurs et des cadeaux. Et selon un psy, c’est leur posture de "nous deux contre le reste du monde" et leur image de couple solide qui les rend populaires auprès du jeune public.
Ceci dit, c’est beaucoup trop analytique pour un film de fiction, comme si Tarantino voulait donner via les dialogues toutes les clefs de compréhension de son œuvre, et il fait passer trop explicitement des idées concernant la critique des media qui sont plus en sous-texte dans le film de Stone.


Le scénario semble très court, il se passe peu de choses pour beaucoup de blabla, surtout de la part du personnage de Wayne Gale lorsqu’il prépare son interview de Mickey ; on se concentre sur le journaliste pendant une très grosse portion du script.
En gros, il y a l’intro dans le diner, l’émission American maniacs, qui inclut notamment des témoignages, des reconstitutions des crimes, et le procès des tueurs, puis le final dans la prison avec l’interview, l’émeute, et l’évasion.
Il n’y a pas la rencontre entre Mickey et Mallory, les scènes familiales avec cette dernière, le mariage sur le pont, les meurtres dans le présent, le motel et la dispute entre les deux amoureux, Scagnetti qui suit leur piste, les errances dans le désert, le délire chamanique, et le passage à la pharmacie.
Du coup, on se rend bien moins compte des liens qui unissent les deux héros (on peut d’ailleurs à peine dire qu’ils sont les personnages principaux du scénario original), et tous les personnages manquent de substance.
Le couple s'est mis à tuer sans raison : visiblement un jour Mickey s'est retrouvé avec un fusil dans les mains, s'est rendu compte qu'il était un "tueur né" et a décidé de buter les parents de Mallory avant de partir dans un road-trip meurtrier avec elle, n'épargnant pas même de jeunes enfants.
Mallory est limite une femme-objet qui ne dit pas grand chose, si ce n’est qu’elle aime Mickey, Scagnetti n’a pas cette attirance malsaine pour la tueuse, et le chef de la prison Dwight McClusky est à peine présent (son sous-fifre Wurlitzer le remplace en partie).
A moins que Tarantino n'ait eu d’autres idées en tête qu’il n’aurait pas posé sur le papier, les personnages paraissent creux, leurs émotions ne sont même pas décrites. Bizarrement, il y a quelques rares endroits où l’auteur s’est lâché sur les didascalies, par exemple lorsque le couple se retrouve et s’embrasse en prison ; la description de ce moment a été, dans le film, transformée en réplique attribuée à Wayne Gale.


Tel quel, j’ai l’impression que le scénario aurait donné un film très ennuyeux (ceci dit, peut-être qu’à l’écrit Pulp fiction m’aurait fait le même effet, alors qu’à l’écran c’est prenant).
Lorsque l’émeute éclate dans la prison, on ne la voit pas, on l’apprend par un coup de fil en off, et aucun lien n’est établi entre cet incident et l’interview de Mickey ; c’est anti-climactique, même si je comprends qu’il ait pensé à l’époque qu’il n’aurait pas le budget pour tourner une émeute.
En tout cas, le scénario contient déjà l’idée d’employer les images de différentes sources, en adoptant le point de vue du cameraman d’American Maniacs ou de vidéos de surveillance notamment ; ça a dû inspirer Oliver Stone, même si Tarantino était sûrement très loin d’imaginer que ça donnerait un tel mélange des media.
C’est impressionnant de voir comme un scénario, pourtant choisi par un réalisateur, peut être modifié aussi considérablement avant d’en arriver à l’œuvre finalisée.
Il y a une séquence coupée du montage du film, qui se déroule durant le procès, et sur le papier, je la trouvais absurde (Mickey poignarde un témoin avec un couteau présenté parmi les preuves), mais tel que ça a été mis en scène par Oliver Stone, ça correspond à l’esprit délirant et over-the-top du film, alors que le scénario était beaucoup moins surréaliste. Par ailleurs, le réalisateur a rajouté pleins de détails qui rendent la séquence beaucoup plus riche et vivante.


Quentin Tarantino a beau avoir gueulé, je rejoins l’avis général : le film d’Oliver Stone est largement mieux que le scénario.

Fry3000
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le 20 juin 2019

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