Aujourd’hui on se souvient surtout de Norbert Moutier pour deux choses : la création du fanzine de référence Monster bis, et ses films de genre fauchés et en partie tournés dans la cave de sa boutique, pratiquement tous chroniqués sur Nanarland.
Mais sous son pseudonyme "N.G. Mount", il est aussi l’auteur de plusieurs livres, dont deux parus dans la collection Gore avant que celle-ci ne s’achève, les autres romans restant ainsi inédits.
J’avais déjà lu Neige d’enfer il y a des années, je l’ai relu dernièrement pour le bien de mon documentaire sur Moutier.
La trame n’a rien de bien original, on y sent encore l’influence de Massacre à la tronçonneuse qui avait inspiré le film Mad mutilator : deux couples d’amis se perdent sur une route enneigée, ils se font attaquer par une folle, et échouent dans un village paumé peuplé de psychopathes.
Mais on découvre une facette de l’auteur que je n’imaginais pas vraiment : libéré des contraintes fixées par les faibles moyens de ses productions filmiques, Moutier se lâche et se montre beaucoup plus trash aussi bien dans le domaine de la violence que du sexe.
Neige d’enfer est même très misogyne ; je ne sais pas si l’ancien fanzineux a grossi le trait exprès parce qu’il s’est dit que c’est ce qu’attendaient les lecteurs de la collection Gore, ou s’il laisse s’exprimer une part de lui-même qu’il n’osait pas montrer dans ses films… mais c’est carrément beauf. Des deux héroïnes, l’une est décrite comme une sotte sans personnalité propre qui suit les directives de son copain et se laisse faire (l’auteur l’insulte carrément en décrivant l’ampleur de sa bêtise), l’autre est plus ou moins une allumeuse, que l’ami de son mec nous décrit ainsi : "il suffisait qu’il pense à sa bouche sensuelle en forme de losange suceur, à sa petite paire de seins agressifs et à ses longues cuisses , bronzées en permanence, pour que sa braguette risque l’explosion" (page 9).
On dirait que Moutier méprise ses personnages : ils n’ont rien d’attachant, entre le héros qui rêve de tromper sa copine avec celle de son pote, et les autres qui le laissent dans la merde à la première embûche. Pendant tout le roman ils se trahissent, se soucient peu de la mort de leurs comparses, et même espèrent qu’ils crèvent quand ça les arrange.
L’auteur saute sur n’importe quelle occasion pour mettre dans leur bouche une remarque désagréable chargée de cynisme : "L’or était, pour lui, un truc de vieilles connes qui aiment s’en parer sous forme de bijoux pour cacher leur peau fripée" (page 50).
Pourquoi tant d’aigreur, Norbert ?
De plus, au cours des premiers chapitres il renforce régulièrement l’idée que les femmes ne sont pas à la hauteur des hommes, se moquant explicitement des conceptions d’égalité.
En repensant aux films de Moutier, ça m’a fait les voir sous un angle un peu différent. Le sexisme y est moins marqué mais maintenant je remarque que les personnages féminins n’ont jamais un beau rôle, elles sont réduites à leur caractère aguicheur (les assistantes des personnages de Jean Rollin dans Trepanator et Dinosaur from the deep, qui sont aussi ses maîtresses), ce sont des mégères qui ne servent qu’à se plaindre (la femme de Rollin dans Dinosaur, le personnage de Brigitte Borghese dans Trepanator), ou alors des prédatrices, qui se servent encore de leur sexualité (Borghese dans Opération Las Vegas, Quelou Parente dans Dinosaur from the deep).
Norbert Moutier est réellement un cinéaste auteur. Ok, je dis ça ironiquement, mais en fait non.
Dans Neige d’enfer, le sexe est très présent, même dans un contexte qui ne s’y prête pas vraiment.
Le premier duo qui arrive dans le village des rednecks est recueilli par un couple comprenant un vieux et une femme dont on nous détaille le physique encore bien conservé. Et même quand il s’avère que les bouseux sont des fous tueurs (bah tiens !), le roman concrétise une sorte de fantasme malsain puisque la victime mâle se fait baiser par la folle dont il observait les formes. Elle en fait même son esclave sexuel, le traitant comme un objet qu’elle insulte, mais la fois suivante elle essaye de gagner son affection et rêve de s’enfuir avec lui… Le début d’une série de raccourcis et d’incohérences très typiques de Moutier.
Déjà, on sent que l’auteur s’intéresse plus à une idée visuelle qu’à la logique, ainsi pour insister sur la décrépitude du camp et invoquer l’ambiance de Massacre à la tronçonneuse, on insiste sans subtilité sur des détails comme des outils automatiquement rouillés, des objets forcément poussiéreux (même s’il s’agit de verres dont les rednecks devraient se servir régulièrement), et si on se cure les ongles, c’est avec un énorme couteau, peu importe si ça n’a pas de sens.
Norbert Moutier a tout de même eu une idée de variation sympa sur le thème du film de Tobe Hooper, puisque les rednecks ne sont plus des bouchers cannibales mais des chercheurs d’or… même si tu comprends rapidement où on veut en venir, quand les personnages découvrent des victimes aux dents et doigts arrachés (même si, eux, ne se doutent de rien).
Mais plus cet aspect est développé, plus ça devient absurde : les bourreaux semblent n’avoir jamais songé auparavant à faucher l’argent de leurs victimes, et on apprend qu’ils attirent des étrangers chez eux sous prétexte d’offrir des vacances gratuites, en passant des annonces dans les journaux…
Il y a trop d’incohérences pour toutes les lister, les personnages sont inconsistants, les victimes survivent à des blessures improbables, … mais il y a aussi les approximations habituelles de Moutier, légèrement amusantes. Ainsi on découvre que la redneck avide de sexe travaillait dans un saloon, alors que l’histoire se déroule à une époque où il y a des voitures (ce qui me rappelle le scénario embrouillé de Dinosaur from the deep), et à un autre moment deux adversaires sont à une dizaine de mètres l’un de l’autre et quelques lignes après on a la surprise de lire qu’ils sont nez à nez, ce qui pour le coup m’a fait penser à ça : https://www.youtube.com/watch?v=i24Yd_NY0u8
Il faut quand même reconnaître qu’hormis le manque de logique, l’écriture n’est pas si mauvaise, il y a des descriptions un minimum appliquées et des formulations qui étoffent un peu le récit… mais rien de vraiment marquant non plus. Moutier réemploie régulièrement une même idée, celle de décrire un élément en disant qu’il est devenu incolore par l’usure, ou la crasse, ou le sang séché.
J’ai lu dans une interview de l’auteur qu’il n’a eu à faire aucune modification pour son livre quand il l’a soumis à l’éditeur, si ce n’est pour corriger les fautes (et encore, il en reste !), ceci explique en partie la médiocrité de l’ouvrage.
Heureusement que la collection Gore exigeait que les livres ne fassent que 150 pages !
J’avoue que j’ai quand même légèrement hâte de lire le second bouquin de Moutier, dont l’intrigue semblerait partir en couille un peu de la même façon que son film Mad mutilator.